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démolissait nulle réelle Bastille; on n'utilisait la Joie du Peuple à raser ni le Sénat, ni la Chambre, ni les divers ministères, ni les différentes bâtisses officielles où les honorables Mandrins de la démocratie entretiennent leurs pierreuses avec l'argent du Pauvre : force perdue, fête manquée.
Il s'agit donc de trouver un réel clou, d'offrir au Peuple autre chose que des drapeaux (plus hurlants que les phrases patriotiques de M. Deschaumes), que des lampions (plus ternes que les idées de M. Lepelletier), que des feux d'artifices (plus ratés que M. Henry Fouquier)... Or, le voici :
Tous les ans, le 25 juillet, on guillotinerait un Poète.
Décapiter les écrivains de talent, annihiler, les aristocrates de la pensée, la joie est profonde et sa profondeur est double : morte la bête, mort le venin ; en tuant l'homme on tue l'oeuvre : « Encore un qui n'écrira plus de chefs-d’œuvres!» On suppose que vingt ans (et moins) de ce système purgerait entièrement la France de tous ces êtres dangereux et inutilisables qui rôdent avec des yeux doux et de menaçantes paroles autour de la table des Noces de Cana. Le premier ban épuisé, on aviserait, - et qui sait ? les poètes sont si vaniteux : ils se feraient donner du génie par leurs amis, pour la gloire d'une consécration sanglante, pour l'honneur d'une mémorable décapitation ! - Et puis, les têtes, - ça repousse.
Ah ! Si Villiers vivait encore ! Quel heureux début pour cette nouvelle « machine à gloire » !.. La Démocratie dut se borner à le condamner au supplice de la faim. C'est lent et sans joies — que finales. On ne peut pas toujours épier une victime - même nationale -, le supplice de la faim implique la liberté de coucher dehors et de choisir l'hôpital où l'on vous autopsiera l'estomac. Pour Villiers, certaines journalistes (messagers de la Bourgeoisie) se contentaient, quand il descendait sur le boulevard, de dire, en méditant leur menu :