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Mon âme est une infante en robe de parade,
Dont l'exil se reflète, éternel et royal,
Aux grands miroirs déserts d'un vieil Escurial,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.
Aux pieds de son fauteuil, allongés noblement,
Deux lévriers d'Ecosse aux yeux mélancoliques
Chassent, quand il lui plaît, les bêtes symboliques
Dans la foret du Rêve et de l'Enchantement.
Son page favori, qui se nomme Naguère,
Lui lit d'ensorcelants poèmes à mi-voix,
Cependant qu'immobile, une tulipe aux doigts,
Elle écoute mourir en elle leur mystère.
Le parc alentour d'elle étend ses frondaisons,
Ses marbres, ses bassins, ses rampes à balustres,
Et, grave, elle s'enivre à ces songes illustres
Que recèlent pour nous les nobles horizons.
Elle est là, résignée, et douce, et sans surprise,
Sachant trop pour lutter comme tout est fatal,
Et se sentant, malgré quelque dédain natal,
Sensible à la pitié, comme l'onde à la brise.
Elle est là, résignée, et douce en ses sanglots,
Plus sombre seulement quand elle évoque en songe
Quelque Armada sombrée à l'éternel mensonge
Et tant de beaux espoirs endormis sous les flots !
Des soirs trop lourds de pourpre, où sa fierté soupire,
Les portraits de Van Dyck aux beaux doigts longs et purs,
Pâles en velours noir sur l'or vieilli des murs,
En leurs grands airs défunts la font rêver d'empire.