Page:Mercure de France tome 005 1892 page 200.jpg
L'EMPRISE
Depuis son retour de Palestine, le bon chevalier ne trouvait plus aucune saveur aux dames de Gaule, et la belle Hermelinde, pour laquelle il brisa autrefois tant de lances et se fit à grands coups de masse d'armes une insigne renommée dans le monde chrétien, lui était apparue si vieille et si ridée, si mère de nombreux enfants, qu'il avait offert son amour en sacrifice à la Chapelle de saint Frumence et s'ennuyait fort, ayant perdu tout but et toute envie.
Il se résolut à faire une emprise telle qu'aux anciens temps il n'en fut jamais parlé, telle qu'aux temps à venir il en serait toujours parlé, à la fois pour se distraire et clôturer dignement sa carrière de bon chevalier. Puis, après avoir distribué son bien aux pauvres, il s'ensevelirait dans un moûtier et attendrait la mort, le crucifix au poing, comme il avait jadis attendu les Sarrasins, l'épée clamante.
Au soleil levant, il se rendit aux gorges d'Ollioules, fit un trait sur le sol et y posa le pied gauche, se jurant de ne pas le bouger jusqu'à la troisième aube, restant fixé trois jours à la terre en l'honneur de la Très Sainte Trinité.
Deux fois vingt-quatre heures, il demeura immobile dans ce désert ; sa gorge se desséchait et ses entrailles hurlaient la faim et la soif ; il était fertile en son emprise, fier de lui-même et de son obstination.
A l'orée de la seconde nuit, un berger passa sur