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ll s'agit de Messieurs les Musiciens et de Messieurs les Librettistes. La récente exhibition, sur la scène de l'Opéra, d'une grande machine lyrique, extraite non sans douleur et sans tintamarre de réclame du prodigieux livre où Flaubert évoqua la vieille Carthage, montre une fois de plus l'impudence de leurs empiètements et de leurs déprédations. Des compères, quelques amis, nombre d'imbéciles naturellement, ont applaudi. Salammbô,— version Reyer-Du Locle — est à les en croire un triomphe pour la musique française ; les auteurs et les interprètes défaillent sous le poids des couronnes et l'unanimité des félicitations ; Ia direction jubile et de fortes recettes se trouvent assurées ; la partition est étonnante, l'orchestre et les chœurs sont mirifiques, les costumes somptueux ; les décors mis au concours ont même le mérite de l'inexactitude ; le ballet nous danse quelque chose avec des ribaudes (!) et des mercenaires. — Voilà qui est alléchant, et nous excusons les soireux d'avoir glapi sur tous les tons et dans toutes les langues qu'on n'avait jamais rien vu de pareil. — Leur satisfaction et la joie naïve des mélomanes ne m'empêchent nullement, toutefois, de retenir la morale de l'aventure : on a encore gâché, sali, abîmé, massacré une œuvre haute; suivant les habitudes des musiciens et des librettistes, on en a fait un guignol, un carnaval, une foire.
Mais il serait trop facile d'accabler M.Du Locle; sa littérature n'existe point; la pièce qu'il a tirée de Flaubert est au-dessous de toute discussion ; on n'y coudoie que la bêtise et l'absurde ; je ne pense pas qu'on puisse en lire dix vers sans pouffer ; des admirateurs de l'entreprise déplorèrent d'ailleurs ses tripotages (1); et sans les blâmer, constatant simplement que pour la besogne une certaine dose de candeur -