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les Maîtres et pourront gagner beaucoup d'argent ; certains iront enseigner dans la ville de province qui subventionna leurs études, ou, plus roublards, profiteront d'une vacance et de protections sérieuses pour se faire bombarder professeurs dans l'immeuble-caserne du faubourg Poissonnière. — Cependant, presque tous auront omis de se créer une âme ; ils auront oublié de développer leurs idées et n'en auront point ; ils n'auront cultivé que leur métrique, et — châtiment de leur excessive mais étroite science — forcés d'emprunter la littérature du voisin, ils ne seront pas même capables de distinguer entre la mauvaise et la bonne ; ils confieront Flaubert à M. Du Locle et prendront Jules Barbier pour un poète (3).
Des poètes véritables, il est bon de le remarquer aussi, ne consentiraient pas fréquemment à leur donner le tabouret. Être librettistes — tenir le second rang, et pour quelles piètres cérémonies, s'effacer, soupirer dans la langue de Baour-Lormian et de Casimir Delavigne afin que le compositeur soit mis en vedette et ses élucubrations — ne les tourmente guère. Ce ne fut jamais qu'en expiation de grands crimes qu'on vit d'authentiques littérateurs abdiquer pour un soir, renoncer à leur personnalité, tourner la manivelle à romances, faire à des amis musiciens l'aumône d'une historiette de leur goût. — M. Scribe, si longtemps le domestique d'Auber, n'est pas le modèle qu'il se proposent ; et volontiers ils représenteraient aux quémandeurs que le savetier du coin,