Page:Mercure de France tome 005 1892 page 213.jpg
Bien des choses ne sont justes que dans la mesure où nous le décrétons. Nous avons même créé un mot pour indiquer ces choses qui sont justes sans l'être : le mot légal. Il est légal de posséder de l'argent sans l'avoir gagné ; il est légal que les enfants d'une femme aient un père et que ceux d'une autre n'en aient pas. Il est illégal, par contre, de se refuser à prendre les armes pour aller tuer son prochain de l'autre côté de la frontière.
La propriété n'est plus le vol : il y a prescription.
Il y a deux sortes d'inégalités : les inégalités artificielles et les inégalités naturelles. L'égalité consiste à supprimer les inégalités artificielles au profit des inégalités naturelles.
Nous jugeons des autres par leurs actions, de nous-mêmes par nos intentions.
Nous nous jugeons sur nos qualités ; les autres nous jugent sur nos défauts.
Nous ne pouvons nous juger du même œil dont nous jugeons autrui : nous connaissons trop la façon naturelle dont s'agencent tous nos actes. Nous nous comprenons, et, partant, nous nous pardonnons.
Nous ne blâmerions jamais, si nous pouvions saisir chez les autres, comme en nous-mêmes, les moindres causes des actions.