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On s'indigne bien souvent contre un acte qu'avec les circonstances on aurait commis soi-même.
L'indignation est toujours étagée sur l'ignorance.
Il n'y a de justice indubitable que celle que l'on exerce envers soi-même, et elle est toujours partiale.
On juge les hommes beaucoup plus mal qu'ils ne méritent, quoique chacun d'eux ait fait beaucoup plus de mal qu'on ne pense.
Nos fautes sont des pavés qui retombent le plus souvent sur la tête des autres.
Nous sommes plus portés à juger avec notre goût qu'avec notre raison.
Le premier devoir du moraliste, c'est d'oublier qu'il y a une morale.
Pour juger sainement, il ne faut pas partir des principes, mais des faits.
En morale, comme partout, il ne s'agit pas de juger, mais d'expliquer.
L'explication d'un crime satisfait bien plus l'esprit que sa condamnation ne satisfait la conscience.
La justice dégénère vite en vengeance, aussitôt que l'on perd de vue sa seule raison, la raison sociale.
Il est plus important de faire croire à la justice que de l'appliquer.