Page:Mercure de France tome 005 1892 page 219.jpg
Quel drôle de nom ! Passe pour Eugène. Mais Bosdeveix ! Comment le prononcer ?
J'avoue qu'au début c'était dur. Mon doigt paresseux désignait le plancher. Je disais pudiquement : « Je vous présente Msieur Gène », et n'importe quoi ensuite, des syllabes de pigeon. Ma bouche n'avait plus de dents. Je soufflais des bulles.
Maintenant ça va mieux. Je m'avance de trois pas sur le parquet ; j'arrondis mes mains en cornet et je crie à voix haute et intelligible :
— « Voici Monsieur Eugène Bosdeveix ! »
Aussitôt tous les traits d'esprit de France fusent vers moi, de leur volière. C'est un triomphe. Je me couvrirais d'une gloire moindre en récitant des vers dans un salon.
Il fait de la littérature. Je m'y attendais. Il a un durillon au bout de l'index gauche, la lèvre supérieure sèche, stérile ou ravagée, et des cheveux droits sur la peau bien tendue d'un crâne plein partout. Mais le continu sourire de ses yeux lui donne l'air gosse.
Il l'est, car soudain on le voit bondir, sauter des chaises, franchir une table, enjamber des personnes de taille élevée, monter ses quatre étages par la rampe, et courir, les pieds en l'air, d'une main agile.
Il rêve une bibliothèque où, d'un rayon à l'autre, il voltigerait sur un trapèze. Il rêve un théâtre où s'agiteraient des bonshommes de