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les croyances morales, les idées religieuses qui m'avaient été inculquées dans mon enfance, je reconnaissais dans le fait présent une confirmation, tangible pour ainsi dire, du dogme de l'immortalité de l'âme.
« Très heureux d'avoir reconquis une foi perdue depuis longtemps, un inexprimable contentement, une immense joie m'envahissait. La Mort, la hideuse Mort ne pouvait donc rien sur nous : était-ce pas cette séparation que je constatais, n'entraînant rien que de très agréable et ne justifiant pas cette épouvante sotte de la plupart des hommes ? Oui, je retrouvais la délivrance dont certains philosophes et quelques poètes ont parlé. Pourquoi s'effrayer des apparences mensongères, de cette décomposition répugnante d'un corps, n'ayant, par cela seul qu'il se corrompt, plus rien de commun avec l'âme, notre unique moi, notre essence intime, notre individu même ?
« Donc, cette forme humaine que j'avais habitée, par qui j'avais vécu, souffert, aimé, s'allait anéantir, revenir se fondre au grand creuset, d'où elle éparpillerait ses atomes volatiles, dès lors sans cohésion. D'elle ne resterait, bientôt, même plus le souvenir, puisqu'en elle était localisée ma mémoire, comme le prouvait son silence sur une existence antérieure.
« Et j'allais sans doute apporter la vie et la conscience à un autre agrégat de molécules : lesquelles ?... et comment ?... et pourquoi ?...
« Un instant j'avais soulevé le voile de l'Isis mystérieuse et future, je croyais apercevoir déjà sa resplendissante divinité, connaître enfin la solution de ces problèmes où l'inconnu se dérobe à nos interprétations toujours insuffisantes, et voilà que retombait la pesante, l'indéchiffrable trame, protectrice de l'inaccessible, me laissant de cette chute errer à nouveau dans les ombres plus denses de l'incertitude et du doute vite revenus. Devant cette inaptitude à connaître plus que le présent, je fus étreint d'affres angoissantes.