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Toi, qui nous mets au cœur les Rêves, ces cancers,
Sois maudit, créateur des tortures insignes,
Barbare potentat qui veux pour tes desserts
Le sang de tes bouffons et le râle des cygnes!...
Sois maudit, ô vieillard égoïste et brutal!...
Étrangleur d'alcyons! Badin tortionnaire
Qui plantas en mon front tes griffes de métal
Et qui mis en mon âme un peu de ton tonnerre
Afin de te jouer du fantoche odieux
Qui, sentant en sa chair la divine étincelle,
Prophétise et se dit de la race des dieux,
Et pense d'astres d'or emplir, son escarcelle!...
- Pour dorer d'un souris ta morne éternité,
Pour égayer ta vieille rate inassouvie,
Tu fis de moi le Fou, banni de la cité,
Qui cueille les chardons dans les champs de la vie!
Tu m'as fait chevaucher le Rêve décevant
Qui, loin de ses cheveux d'or dansant près des fontaines,
Galopait, à travers les foudres et le vent,
Vers l'illusoire tour des chimères lointaines!...
- Mais, aujourd'hui, le Rêve est mort, l'obscur cheval!
Et je n'espère plus le triomphal symptôme,
Ayant sondé la pente éternelle du val
Je roule dans l'enfer, chevauchant un fantôme!...
Je roule, loin des paix de l'égoïste azur,
Parmi le désespoir des énigmes bien tues!
Je roule dans le gouffre infiniment obscur
Où je ne verrai point surgir l'or des statues!...
- Mais, puisque j'ai perdu les idéaux songés!
Puisque je ne crois plus à mes chansons hautaines!
Puisque je ne peux plus - oh! désirs naufragés
Revoir les cheveux d'or dansant près des fontaines!...
Puisque je suis le blanc martyr, aux poings liés,
Dont craqué les os aux marteaux de la forge,
Et puisque, pour flétrir les édits dépliés,
Il ne me reste plus que les cris de ma gorge,