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Je crierai vers ton trône et vers ton paradis
Mes malédictions et mes fous anathèmes!...
Dieu méchant! Dieu bourreau! Dieu noir! Je te maudis!
Et sur toi je vomis le fiel de mes blasphèmes!... »
- Et Jésus haletant, vers le ciel bleu cracha!
- Les cigales, alors, se turent dans chaque arbre,
Et l'astre agonisant, tout à coup, se cacha
Derrière les grands monts d'émeraude et de marbre...
Et l'azur, devenu terrible et frémissant,
Béa, comme troué de quelque lance impie,
Et ce fut le deuil lourd d'un grand fleuve de sang
Roulant vers l'horizon lointain d'Ethiopie...
Mais, éructant encor vers le ciel irrité
Le douloureux venin de sa rage futile,
Jésus s'en retournait déjà vers la cité
Ses deux lèvres saignant du blasphème inutile
Sous ses cheveux, pleurs d'un soleil occidental,
Toujours tourbillonnaient les ailes prophétiques
Des funèbres corbeaux aux plumes de métal
Qui clamaient les gibets émergeant des portiques...
Et bientôt, il pleura, ses yeux blasphémateurs
Au ciel, rêvant peut-être encor le bon dictame!...
- Mais l'Ange, messager des mots consolateurs,
Ne vint point éclairer le tombeau de son âme.
Octobre 1889.
G.-Albert Aurier.