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qu'il intéresserait les lecteurs du Mercure de France de savoir ce que pense un des bons critiques d'Italie des tentatives de ceux que l'on pourrait appeler ― en poursuivant la comparaison ébauchée au Figaro, par M. Huret, je crois, entre le Mercure de France et la Revue des Deux-Mondes ― vos poètes et vos auteurs ordinaires. Et si, par la même occasion, j'indique aux curieux de littérature étrangère un auteur très fort comme on dit en style de journal ― j'aurai vraiment atteint le but que je m'étais proposé - un but tout fait devoir présent, d'ailleurs, n'est-il pas vrai?
Deux mots sur l'auteur: M. Luigi Capuana est avec M. Giovanni Verga, dont il est, depuis de longues années, l'ami très intime, le représentant le plus en vue du naturalisme italien ― ou, selon la manière de dire de là-bas, du vérisme. Il a publié Giacinta, un roman brutal et palpitant que l'on a été jusqu'à comparer à Madame Bovary et qui eut bien quatre éditions. Ce qui, en Italie, indique un grand succès, car en librairie, comme en philosophie, tout ici-bas est relatif. On lui doit encore un recueil de contes pour les enfants vraiment délicieux, dont une traduction française serait tout indiquée ; deux ou trois romans: Le Parfum, Frisson, aucun n'atteignant la maîtrise de Giacinta; quelques volumes de nouvelles parfois exquises, jamais banales, et quatre volumes de critique parmi lesquels celui que j'ai l'honneur de vous présenter. M. Capuna est Catanais; il aurait donc dans ses veines, d'après M. Reclus, du sang grec plus pur que celui des Athéniens d'Athènes. Vous comprendrez alors pourquoi il est artiste au point qu'on l'appelle volontiers le Paul Bourget d'Italie (n'est-ce pas tout dire ?) et pourquoi aussi il ne se départ guère, en critique, de 1a plus aimable bienveillance. Il est des traditions de race comme il en est des traditions de famille, elles sont inoubliables — et ceux de la patrie de Théocrite ne seront jamais des barbares. Il est possible qu'ils en sachent beaucoup de choses bien moins long que nous, car, là-bas, la nature est trop belle ― et pour eux, le mot de Méphistophéles est, certes, plus vrai que pour nous ― mais n importe, vous ne leur ferez jamais prendre des lanternes pour des étoiles. Si peu qu'ils sachent,c'est assez pour nous pénétrer. Ne sont-ils pas fils de race la plus intelligemment artiste qui ait jamais été?
Ecoutez plutôt M. Capuana: sa critique, genre