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l'heure où, le carnaval fini, il faut quitter les mâles oripeaux du bal pour reprendre ses cotillons et ses gestes de toujours. Et voilà que la métamorphose est accomplie et que c'est une femme qui s'assied maintenant devant le chevalet pour peindre cette Fillette assise, si exquisément poupée qu'on songe à telle autre de Renoir, ce Déjeuner sur l'herbe, ces Aloës, ces Faneuses, cette Bergère couchée, cette Fillette au panier, cette Petite fille à l'oiseau, ces Cygnes, toutes ces apriliennes apparitions de gamines roses, de babies rieurs, surgis en ce clair envolement de cendre bleue, de cendre verte, dans cet air si transparent et si tendre, surtout - oh ! surtout — toutes ces délicates aquarelles, tous ces jolis croquis si légers d'enfants, à peine rehaussés de cobalt et de vermillon éteints...
Ah ! vraiment, la pipe et les culottes sont loin ! et loin aussi les belles qualités mâles, un instant apprises du maitre d'autrefois, la précise et synthétique vision des formes et des couleurs, l'horreur du joli sentimental ! La houppette a fait son œuvre et il a plu quelque poudre de riz, il faut bien l'avouer, dans le bateau des Canotiers d'Argenteuil. Mais pourtant l'oeuvre reste, malgré tout, intéressant, à cause même de cette inattendue interprétation du plus masculin génie qui fût, à cause même de cette légitime et savoureuse féminité, si loin de la redoutable féminité de ces dames des « Femmes peintres » ...
Je suis, en vérité, fort embarrassé pour dire de cette entreprise, excellemment artistique, tout le bien que j'en pense, l'ayant déjà, et hautement, proclamé dans la préfacette du catalogue qu'on me fit l'honneur de me demander. Aussi me résouds-je à simplement recopier à l'usage des lecteurs du Mercure les quelques lignes hier imprimées sur ce sujet :
Le public parisien de cette fin de siècle, qui ne rappelle que de fort loin, il faut bien l'avouer, le public florentin du temps des Sforza, ou les Hellènes du temps de Périclès, estime avoir suffisamment sacrifié au culte de l'Art lorsqu'il a pris, par douze mois, quatre ou six heures sur ses occupations de bourse, d'industrie, de négoce ou de sport, pour aller faire quelques tours dans ces grands bazars nationaux qu'on nomme les Salons. Cela suffit à son appétit esthétique, mais aussi, qu'on le concède, démontre son admirable sobriété et un souci vraiment admirable de la qualité des victuailles ingurgitées.