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jusque-là dans diverses revues qui témoignaient d'un noble effort vers un art intègre et loyal, mais n'avaient guère entre elles d'autre lien que ce souci même de bien faire. Maintenant, après le silence, le recueillement, l'ombre obstinément faite autour de soi, le dédain absolu des vaines luttes, le poète se rappelle à nous, non plus par une collection un peu artificielle de vers composés au hasard des heures, mais par un livre d'une belle unité.
Un jour, l'âme leurrée par des gloires et des baisers chimériques, le Châtelain aventureux quitte les terres de la vraie joie ; il appareille, loin de la Princesse du manoir, vers les havres aux fruits d'or, que recèle pour sa folie, « dans l'horreur consolatrice et les ténèbres », la brume merveilleuse des flots polaires. Là, « des formes de mensonge lui apparaissent et s'évanouissent avant qu'il les ait saisies, jusqu'au moment où, comme un étranger, il revient vers la maison désertée. Des voix obscures l'injurient ; mais la Princesse en deuil lui rouvre la bonne demeure et « avec un geste lent d'oubli qui lui pardonne » recueille le Voyageur, las des chemins, des vagues et des grèves.
L'oeuvre n'a point dans son développement réel cette apparence de conte logiquement conduit ; elle ne se suit pas avec autant de rigueur. Sinon ce ne serait qu'une fable sans autre portée. Mais des motifs secondaires s'y entrelacent et des correspondances lointaines s'établissent pour le plaisir de l'imagination. Il advient même à une ou deux reprises que des poèmes soient presque trop excentriques à l'idée primordiale et y semblent comme arbitrairement réunis : ils diffèrent de ton et la technique en est moins souple que dans le reste du livre. Cela est surtout sensible dans la seconde partie (Voir p. ex: Celui qui s'embarquait, et, O toi, la fleur de sang). Cependant l'harmonie générale n'est pas troublée par ces rares — et si légers - disparates ; et Les Vergers illusoires laissent en définitive cette exquise impression d'une allégorie qui hésite perpétuellement, comme la vie elle-même, entre l'émotion sentimentale et l'anxiété intellectuelle, l'une n'étant peut-être après tout que le signe de l'autre. Il faudrait citer quelques passages pour donner une idée plus exacte de cet art savant et volontaire, riche de rythmes et d'images. Mais il y aurait péril à isoler telle ou telle partie, et à la dénaturer par conséquent. Ne pourrait-on, pour une fois, croire sur parole le critique, ce juge qui n'a pas plus que les autres magistrats le droit de juger et qui, honteux en secret de jouer un rôle si méprisable, est plus suspect, hélas ! d'acrimonie que de bienveillance?
P. Q.
Chatte et Chats, par Raoul Gineste, Préface de Paul Arène (Flammarion). - « ...Raoul Gineste, compatriote du
doux Gallus aimé par Virgile, tient sans doute de cette origine le besoin de précision et de clarté classique; charme de ses vers, ainsi que l'inquiétude du Mystérieux dont, au soleil couchant des décadences latines, se troublaient les âmes. » Cette phrase de la préface de M. Paul Arène résume, je crois,