Page:Mercure de France tome 005 1892 page 296.jpg
gravissaient vers des calvaires plus souvent qu'elles n'escaladaient des citadelles.
Tout cet empire, sous l'action gourde des Moines, se penchait comme vers un mirage chaud et bleu de paradis crépusculaire. Le mysticisme qui noyait alors toutes choses n'était, nous l'avons vu, que la paresse, à peine plus consciente, des anciennes religions. Qu'on imaginât toute la gloire du Haut-Empire Romain à demi perdue dans la profondeur de quelque cathédrale universelle ; la clameur du Cirque, des Camps et des Triomphes fondue parmi le silence d'une insondable abside, buccins mourants en gémissements d'orgue ; la pourpre et les trophées irradiés à travers un nuage d'encens ; une rayonnante après-midi d'été voilée d'une ondée soudaine ; que l'on mît cette gaze de mélancolie sur ce flamboiement de jouissances, ― et l'on aurait, semble-t-il, l'impression de la crépusculaire et chatoyante civilisation byzantine.
Or l'Iconoclastie chassait cette brume d'infini, ce mysticisme sensuel qu’entretenait dans les âmes la contemplation des Images. Elle ramenait les esprits sur la terre, à des objets plus précis. Le gouvernement passait aux laïques. L'administration romaine renaissait, ayant, en plus, ce qu'elle tenait de l'esprit grec, ce je ne sais quoi d'ergoteur, qui caractérise, par exemple, le Code de Justinien. C'était donc la sécheresse de cette administration, mais sans gloire, sans aucun retentissement de ses actes dans le monde. Le peuple, qui n'est si idolâtre que par ce besoin qu'il a de prolonger sa jouissance, en la reportant sur les objets représentatifs de l'éternité, le peuple ne voulut point se résoudre à une existence disciplinée, précise. Il se sentait, avec impatience, ramené à lui-même, et, par lui-même, il était si peu de chose : ce que l'avait fait l'Empire Romain, ce qu'il ne voulait plus être, en cette brûlante et mystique atmosphère de Byzance. Les Moines, invoquant Jésus, l'eurent donc vite soulevé.