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D'ailleurs l'hameçon est d'un acier de bonne trempe.
— « Alors, dit Monsieur Lepic, il faut couper la chair.»
Il affermit son lorgnon, sort son canif, et commence de passer sur le doigt une lame mal aiguisée, si faiblement qu'elle ne pénètre pas. Il appuie ; il sue. Du sang paraît.
— « Oh ! là ! oh ! là ! », crie Madame Lepic, et tout le groupe tremble.
— « Plus vite, papa ! » dit Sœur Ernestine.
— « Ne fais donc pas ta lourde comme ça ! » dit Grand Frère Félix à sa mère.
Monsieur Lepic perd patience. Le canif déchire, scie au hasard, et Madame Lepic, après avoir murmuré : « Boucher! boucher ! » se trouve mal, heureusement.
Monsieur Lepic en profite. Blanc, affolé, il charcute, fouit la chair, et le doigt n'est plus qu'une plaie sanglante d'où l'hameçon tombe.
Ouf !
Pendant cela, Poil de Carotte n'a servi à rien. Au premier cri de sa mère, il s'est sauvé. Assis sur l'escalier, la tête en ses mains, il s'explique l'aventure. Sans doute, une fois qu'il lançait sa ligne au loin, son hameçon lui est resté dans le dos.
— « Je ne m'étonne plus que ça ne mordait plus », dit-il.
Il écoute les plaintes de sa mère, et d'abord n'est pas trop chagriné de les entendre. Ne criera-t-il pas à son tour, tout à l'heure, plus fort qu'elle, aussi fort qu'il pourra, jusqu'à l'engouement, afin qu'elle se croie plus tôt vengée et le laisse tranquille ? Des voisins attirés le questionnent:
— « Qu'est-ce qu'il y à donc, Poil de Carotte? » Il ne répond pas; il bouché ses oreilles, et sa tête rousse disparaît. Les voisins se rangent au bas de l'escalier et attendent les nouvelles.
Enfin Madame Lepic s'avance. Elle est pâle comme une accouchée, et fière d'avoir couru un grand danger, elle porte devant son doigt