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Ce petit toit où, tour à tour, ont vécu des poules, des lapins, des cochons, vide maintenant, appartient en toute propriété à Poil de Carotte. Il l'habite le soir, après la classe. Il y entre commodément, car le toiton n'a plus de porte. Quelques grêles orties en parent le seuil, et si Poil de Carotte les regarde à plat ventre, elles lui semblent une forêt. Une poussière fine recouvre le sol. Les pierres des murs luisent d'humidité. Poil de Carotte frôle le plafond de ses cheveux. Il est là chez lui et s'y divertit, dédaigneux des jouets encombrants, aux frais de son imagination.
Son principal amusement consiste à creuser quatre nids avec ses fesses, un pour chaque coin du toiton. Il ramène de sa main, comme d'une truelle, des bourrelets de poussière et se cale ainsi le derrière.
Le dos au mur lisse , les jambes pliées, les mains croisées sur ses genoux, gîté, il se trouve bien. Vraiment il ne peut pas tenir moins de place. Il oublie le monde, ne le craint plus. Seul un bon coup de tonnerre le troublerait.
L'eau de vaisselle qui coule non loin de là, par le trou de l'évier, tantôt à torrents, tantôt goutte à goutte, lui envoie des bouffées fraîches.
Brusquement, une alerte.
Des appels approchent, des pas.
─ « Poil de Carotte ? Poil de Carotte ? »
Une tête se baisse et Poil de Carotte, réduit en boulette, se poussant dans la terre et le mur, le souffle mort, la bouche grande, le regard même immobilisé sent que des yeux fouillent l'ombre.
— « Poil de Carotte, es-tu là ? »
Les tempes bosselées, il souffre et jouit. Il va crier d'angoisse.
─ « Il n'y est pas, le petit animal. Où diable s'est-il fourré ? »