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Yeux bruns, pensifs, fatals ! En eux tourbillonnait, tout au fond, au fond, l'écume bouillonnante, empoisonnée.
O toi, toi, toi !
Et sur toi me jeta la rage de l'amour.
Et nos lèvres pesaient les unes sur les autres comme les douloureux, les languissants péchés de deux étoiles qui, se rencontrant dans l'incessant mouvement de l'espace avec des cris plaintifs, s'étreignent.
O toi, toi, toi !
Et mes yeux s'enfonçaient dans les tiens, et mes bras serraient ton corps comme des griffes de fauves, et ta poitrine haletait, et tes yeux, colombes égarées, erraient....
Ils cherchaient la claire forêt d'automne et l'enfance de notre amour sur les feuilles bariolées.
Et ne la retrouvant plus, figés de terreur, ardents de tous les désirs de l'enfer, ils perçaient mon cœur comme le bec noir des aigles.
Lasse, ma tête retomba sur ton sein. Tu tressaillis.
Puis tu balbutiais tout bas des mots confus et tu pleurais.
Et tes yeux à nouveau se rassérénèrent.
Sais-tu bien ce qui s'est passé entre nous ?
La haine nous a accouplés en un sauvage combat: la haine entre l'homme et la femme, la femme et l'homme, la soif ardente de sucer le cœur étranger, et chaque goutte de son sang, chacune de ses aspirations.
Mon cœur et ton cœur se sont entreregardés en ce combat, et, combattant, se pénétrant l'un l'autre, ils se sont confondus.
Tu es moi maintenant, mon âme s'est dédoublée.
J'ai reconnu la femme.