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Un tapis de neige à perte de vue. Le gris brouillard au-dessus de lui comme un fardeau de haine sourde.
Est-ce le jour ? Est-ce le soir ? Je ne vois nul astre.
Le soleil vit-il encore ?
A travers la plaine glacée se traîne mon pas fatigué. Ce m'est comme si le brouillard empoisonné suçait de tous mes pores la vie, m'entraînant dans un lent mourir.
Ses doigts sont humides, flasques, froids.
O doigts rosés, ensoleillés, des matins de printemps, qui ranimez à la vie, où êtes-vous ?
Et une brise balançante, de souvenirs traverse mon cœur, — une danse gracieuse pleine de froissements de soie.
Soudain une voix derrière moi, stridente ainsi que la glace qui éclate:
— Ecoute !
Comme rivé au sol, je m'arrête, effrayé.
— Pourquoi t'effraies-tu? Je ne suis pas là Mort! Je ne suis pas la Mort... hélas !
Un nuage étreint mes sens. Vers de froids sépulcres s'enfuit mon âme. Puis elle émerge dans une intense clarté, et, aux côtés d'un vieillard, je chemine dans un pays torride.
Des rochers blanc cru et le jaune desséché de la maturité mourante à droite et à gauche.
— Lève la tète! regarde ! c'est le Golgotha !
Le Christ !
Sous l'incendie du soleil ardent, en croix, la tête penchée, je vois dans sa blonde chevelure la couronne d'épines, l'auréole de la souffrance. Son corps est décharné et ruisselant de sang.
O Christ!
— Viens !
— Laisse-moi prier devant, le saint bois martyre ! Laisse-moi apprendre à prier ici !