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— Veux-tu encore prier ? Tu as vu bien des
prosternés !
— Qui es-tu, vieillard ?
Et, s'éloignant lentement, ces mots assourdis par le brouillard m'atteignent, portés par la bise :
— « A mon seuil, il s'affaissa sous la Croix. Je ne l'ai pas relevé. Qui relève des criminels? Je rendis grâce de ce que mon âme n'eût pas l'impudence de la sienne. Alors en son cœur la vérité s'éleva : la haine de l'homme pour l'homme. C'est ainsi qu'il mourut. Mais dans son amère compréhension il m'a maudit, me condamnant à être son héritier, à reconnaître le Golgotha partout et à entendre sans fin les coups de marteau sur la Croix ! Sa mort est irrévocable, son amour est mort ! En vivant, j'apprends à haïr ! »
Le Golgotha partout, et sans fin les coups de marteau sur la Croix...
O.-J. Bierbaum
(Traduction de Jean de Néthy.
)
(1) Titre du volume d'où sont tirés les cinq poèmes en prose dont nous publions la traduction inédite, et qui vient de paraître (mai 1892) à Berlin. Son auteur, M. Otto-Jules Bierbaum, est né le 24 juin 1865 à Grüneberg, en Basse-Silésie. Outre Poèmes vécus, il a publié un ouvrage sur l'exposition annuelle des Beaux-Arts à Munich (1890), une monographie de Detlev de Liliencron, et le texte pour l'édition in-folio des gravures d'après Bœcklin, l'artiste avec lequel il a une très grande affinité visuelle. Il est connu aussi comme l'un des fondateurs de la «Société pour la Vie moderne» à Munich. ─ La traduction littérale n'a malheureusement pas permis de rendre le rythme spécial de chacun de ces cinq poèmes, et qui en fait d'exquises œuvres d'art.