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frissonner les arbres et trembler la silhouette des collines à travers la chantante nappe d'eau qui les séparait du monde. Ils vivaient ainsi dans une mutuelle fête qu'ils dissimulaient jalousement, et personne ne pouvait s'approcher de leur mystérieuse joie sans qu'ils essayassent de la cacher. La suivante qui leur était si favorable faillit, une fois, surprendre Tristan qui pleurait pour quelque futile raison; mais aussitôt l'espiègle jeune fille « feignit de se iouer à lui jetter de l'eau au visage; et c'estoit pour empêcher que sa confidente ne s'apperceust pas que i'eusse pleuré ». Las ! l'enchantement fut court, et pour échapper aux vengeances de la famille, Tristan dut s'enfuir encore, n'ayant pas le droit d'être heureux longtemps.
Il passa d'abord en Norvège, y acheta des fourrures, puis revint en Angleterre et presque aussitôt en France. Après diverses rencontres de faux Polonais qui le trichent aux cartes, d'un avare libéral qui lui donne quelque argent vite perdu, de bons moines qui l'hébergent de leur mieux, d'un de ses parents qui l'accueillit assez mal, il vint à Paris, y joua, perdit, séduisit la fille de son hôte, et, pour ne pas l'épouser, reprit sa route. Comme il voulait aller en Espagne pour se présenter à Jean de Vénasque, connétable de Castille, son parent, il s'arrêta près de Poitiers, chez un neveu de Scévole de Sainte-Marthe, et ensuite chez Scévole lui même, dont il devint le lecteur. Le poète avait alors plus de cent ans; charmé par la gentillesse de Tristan, il lui ouvrit sa vaste bibliothèque, et le page disgracié y put lire à son gré les Latins et les Italiens, sans compter Du Laurens et Ambroise Paré qui lui enseignèrent l'anatomie. Par émulation et pour imiter les fils de Scévole, il commença à écrire des vers. Sa reconnaissance fut vive, et plus tard, quand le docte vieillard mourut, Tristan paya sa dette en un sonnet :
- O destins enuieux du bien de l'Univers !
- N'auriez-vous point détruit avecque ce grand homme
- Les neuf divinitez qui font faire des vers.
- (La Lyre.)
Auparavant, il avait cédé à ses instincts de vagabondage et avait quitté Scévole. Il devint secrétaire d'Emmanuel Philbert des Prés, marquis de Villars, personnage considérable, qui fut chargé d'importantes négociations en Italie. C'était là une étrange maison,