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et le grave ambassadeur se divertissait sans aucune
pruderie. La dame de Villars était plus sévère et même
un peu acariâtre; elle avait pour favori un nain italien
fort méchant, qui fut le héros de diverses aventures
où Tristan put concevoir assez bien l'idée du burlesque.
Le nain, appelé Anselme, était l'ennemi particulier d'un
coq d'Inde qui ne laissait point passer son adversaire dans la basse-cour sans le maltraiter et le larder
de coups de bec. Pour en finir, Anselme, après un
duel au couteau, tua la pauvre bête, et en marmonnant : « Ah ! traditore, sapcua ben che saray ammazzato », l'entraîna dans sa chambre et s'en régala. « Il
en avait usé comme les Topinambous et les Margaiats,
qui font bonne chère de leurs ennemis » De pareils
drames excitaient le rire du marquis de Villars: mais
sa plus grande joie était de voir représenter des farces
où Tristan mettait à profit Straparole, Pogge et Bouchet, ses lectures d'alors. Quand, dans La Farce de
l'accouchée, un jardinier, râblé et velu, sortait de
dessous les jupes d'un page jouant le rôle de la femme
en couches, le bon seigneur s'esclaffait à entendre
dire par les assistants émerveillés : « Voyla un fort
beau garçon ; il a desia du poil au derrière. » Ces
plaisanteries ne sont point très fines ; mais, outre qu'elles valent mieux que les grivoiseries d'un Marot, elles aident à comprendre le théâtre comique du dix-septième siècle, j'entends celui qui n'est pas classique, celui de
Tristan et de Scarron par exemple.
Le page disgracié passa ensuite au service de Henri
de Lorraine, duc de Mayenne, frère utérin de Philbert
des Prés. Sur ces entrefaites, Louis XIII vint à Bordeaux ; un gentilhomme reconnut Tristan, qui avait
adressé des vers au roi, et le poète, reprenant son
nom et ses qualités, fut mis à la suite de Gaston. Le
roman s'arrête en 1621, avec la vie errante du sire de
Soliers. L'auteur avait promis de poursuivre cette
biographie, qu'il ne termina jamais. « Je vais, dit-il
en finissant, vous rendre raison du dégoust que j'ay
pour toutes les professions du monde et ce qui m'a
fait prendre en haine beaucoup de diverses societez. »
Dès lors, les renseignements précis sur son existence
font presque entièrement défaut. Il fut jusqu'en 1646
gentilhomme de Gaston, qui le négligea fort. Tristan
essayait en vain d'attirer sur lui l'attention de son
maître et d'en obtenir quelque secours: