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plutôt misérable, et quant il fut choisi, en 1648, comme
successeur de Monsieur de Comby à l'Académie, il put
dire mélancoliquement à ses collègues, dans son compliment très bref :« Le vous remercie donc très humblement, Messieurs... Et vous proteste que ie me trouve
aujourd'hui vengé par les propres mains de la Vertu
de tous les mauvais traitements de la Fortune.(5) » Il
mourut « pulmonique » en 1655, à l'hôtel de Guise,
soigné par Quinault, qu'il instruisait à la poésie,
comme Scévole de Sainte Marthe l'avait instruit lui-
même. Ses dernières années avaient été assombries
encore: par la perte d'une femme qu'il aimait beaucoup
et d'un fils également très cher. Cependant, il avait,
jusqu'à la fin fidèle aux lettres, publié encore Le Parasite (comédie, 1654), Osman (tragédie, 1655), et Les
Heures dédiées à la Sainte-Vierge (1653). Malgré le débit de ces livres, c'était la pauvreté de Job, à croire les
Ménagiana: « M. Quinault était valet de M. Tristan.
M. de Montausier disoit qu'en mourant il lui avoit
laissé son esprit de poète; qu'il aurait bien voulu lui
laisser aussi son manteau, mais qu'il n'en avoit
point (6). » Il est douteux s'il possédait même où se
faire enterrer : le duc de Guise y pourvut.
Mais de cette existence tourmentée et hasardeuse,
c'est à peine si l'oeuvre écrite, sauf Le Page disgrâcié, permet de deviner toutes les angoisses et toutes les
humiliations secrètes. A peine quelques épigrammes,
quelques passages d'épitres familières, livrent-ils le
mystère de ces douleurs honteuses; et une seule fois
peut-être, dans les stances sur La Servitude, la rancoeur et le dégoût transparaissent :
- Irois-je voir en barbe grise.
- Tous ceux qu'il fauorise;
- Epier leur réveil et troubler leur repas?
- Irois-je m'abaisser en mille et mille sortes
- Et mettre le siège à vingt portes
- Pour arracher du pain qu'on ne me tendroit pas?
(Vers héroïques.)