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et ne devienne pas un simple imbécile, parlant on ne sait quel idiome barbare et fangeux. Personne ne lui refuserait une âme toute frémissante de tendresse, n'eût-il trouvé que ce touchant adieu d'Eurydice à Orphée:
- Tu n'aurois point failly, si j'estois moins aimée.
Mais en outre, comme Théophile, comme Saint-Amant quelquefois, il sut, bien avant Lamartine et Hugo, intéresser le monde extérieur à la mélancolie des hommes, et le bruissement des feuilles, l'éclat du ciel, la voix des eaux se mêlent dans ses vers aux plaintes et aux désirs des âmes en peine. L'illustre Pasteur vient répéter aux arbres son amour dédaigné; il ne sait pour quel crime il est puni, lui qui n'a violé jamais « l'horreur sacrée et vénérable » des forêts, ni profané l'eau pure des sources:
- Ai-ie troublé vos eaux avec l'eau de mes larmes
- Et percé de mes cris votre Bois innocent?
Tout cependant lui est hostile et l'ombre même lui refuse le sommeil:
- Ne dois-ie plus gouster après cette auanture
- Ny la douceur des jours ny le repos des nuyts?
(La Lyre.)
Le chef-d'oeuvre, peut-être, c'est Le Promenoir des deux amans: il ne serait pas impossible que Tristan s'y fut souvenu de ses rares amours d'Angleterre, et la Clymène qu'il accompagne vers le lac silencieux et tranquille n'est autre sans doute que sa petite maîtresse d'autrefois:
- L'ombre de cette fleur vermeille
- Et celle de ces joncs pendants
- Paroissent être là-dedans
- Les songes de l'eau qui sommeille.
- Croy mon conseil, chère Célimène;
- Pour laisser arriver le soir,
- Ie te prie, allons nous asseoir
- Sur le bord de cette fontaine.
- Ie tremble en voyant ton visage
- Flotter avecque mes désirs.
- ...........................
(Les Amours.)
On n'a pas mieux exprimé, ni par des analogies plus saisissantes, la fragilité de toute joie. Comprendre ainsi la nature, n'est-ce point reconnaître son propre