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- Souuien-toy de l'heure dernière
- Et de l'horreur du monument
- Où ta dépouille prisonnière
- Ne sera plus rien que poussière
- Et n'aura plus de sentiment.
- Là ce corps qui si difficile
- Demandoit tant de mets diuers,
- Descharné, relant (7), immobile,
- N'est rien qu'une charogne vile
- Qui repaist et loge les vers.
(Heures de la Vierge.)
Jusqu'ici, contrairement aux promesses formelles de la biographie, Tristan ne se montre guère comme un poète burlesque. Il eut cependant le rire lyrique, désordonné et grandiose, si différent de l'esprit et si supérieur à l'esprit. Mais ce rire éclate peu dans les poésies proprement dites ; non qu'il en soit tout à fait absent, ainsi que le prouve cette véhémente apostrophe A une gouuernante importune:
- Vieux Singe au visage froncé
- De qui tous les pages se rient,
- Et dont le seul nom prononcé
- Fait taire les enfants qui crient!
- Tes Membres saisis d'un frisson
- Tremblent de la même façon
- Que font les feuilles en automne;
- Tu ne fais plus rien que cracher
- Et toute la terre s'étonne
- De te voir encore marcher.
(Les Amours.)
Le morceau certes ne manque point de saveur. Mais c'est surtout au théâtre que la verve de Tristan se donna carrière. Dans Le Parasite, les personnages traditionnels du Glouton et du Matamore se démènent et gesticulent avec une extraordinaire ampleur de fantaisie. L'intrigue est presque nulle ; mais quelle n'est point la grandeur bouffonne de ce Fripesauces qui renierait son maître pour une côtelette ou un verre de vin, et qui se fait gloire de sa voracité :
- O! ie croy que ma faim n'eust iamais de pareille !
- Ie sens dans mes boyaux plus de deux millions
- De chiens, de chats, de rats, de loups et de lions,
- Qui présentent leurs dents, qui leurs griffes estendent
- Et grondans à toute heure à manger me demandent.