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d'un poème. Le poème, s'il comble rigoureusement les exigences du sentiment poétique, induit l'âme en une exaltation où elle ne saurait longtemps se soutenir. Les excitations violentes sont nécessairement brèves. Un long poème est donc un paradoxe. Sans l'unité d'impression, les effets les mieux calculés ratent. Les poèmes épiques furent les fruits d'un sens incomplet de l'Art, et leur règne est aboli. Un poème trop bref peut produire une impression vive, mais jamais intense ou durable; sans une certaine continuité d'effort (4), - sans la durée, sans la répétition des coups, - l'âme n'est jamais profondément émue. Il faut la goutte d'eau qui tombe sur la pierre. Béranger a écrit des choses brillantes, — piquantes et spirituelles, — mais comme tous les corps instables, elles manquent de momentum, et ainsi n'arrivent pas à satisfaire le Sentiment Poétique. Ce sont des étincelles dont l'incontinuité ne peut pas profondément impressionner. L'extrême brièveté dégénère en épigrammisme: mais le péché d'extrême longueur est encore plus impardonnable.
Si j'étais appelé à désigner le genre de composition qui, après le poème tel que je l'ai suggéré, répond le mieux aux exigences d'un haut talent, — lui offre le plus avantageux champ d'exercice, — je parlerais sans hésitation des contes en prose (5), pareils à ceux dont M. Hawthorne nous a donné des exemples. J'allègue la courte nouvelle qui se lit en une demi-heure, en une ou deux heures au plus. L'ordinaire roman est inadmissible à cause de sa longueur, pour les mêmes raisons que j'ai déjà exposées en substance. Comme il ne peut être lu d'une traite, il est privé, par conséquent, de l'immense force qui résulte de la