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poème ; mais l'excessive longueur serait encore plus répréhensible.
Nous avons dit que le conte a une supériorité même sur le poème. En fait, si, dans le poème, le rythme intervient comme un secours essentiel pour le développement de la plus haute idée poétique, — l'idée du Beau, — l'artificialité du rythme est cependant un infranchissable obstacle au développement complet de la pensée ou de l'expression, lesquelles ont pour base la Vérité. Mais la Vérité est souvent, et dans une très large mesure, le but d'un conte. Quelques-uns des plus beaux contes sont des contes fondés sur le raisonnement. Donc, le champ de ces sortes de compositions, s'il ne s'étend pas dans des régions aussi élevées de la montagne de l'Esprit, apparaît, du moins, tel qu'un plateau bien plus étendu que le domaine du pur poème. Ses produits ne sont jamais aussi riches, mais ils sont plus nombreux et plus appréciables de la foule. Bref, le conteur en prose peut plier à son thème une vaste variété de modes ou inflexions de pensée et d'expression (9) — (le mode déductif, par exemple, le sarcastique, l'humoristique), lesquels sont non seulement contradictoires à là nature du poème, mais absolument défendus par le rythme, qui est son spécial et indispensable adjutoire. On peut ajouter ici, par parenthèse, que l'auteur qui vise au Beau pur dans un conte en prose se met dans une situation fort désavantageuse, — car le Beau est beaucoup plus facile à atteindre dans un poème. Il n'en est pas de même si l'on veut la terreur, ou la passion, ou l'horreur, ou une multitude d'autres impressions. C'est donc du préjugé qu'est née l'ordinaire animadversion que l'on manifeste