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se trouve heureusement rafraichie par la noceuse du Moulin Rouge, et quant au père noble, il n'apparaît que pour servir de prétexte à l'apologie de l'assassinat. Je ne sais pas si c'est prémédité chez Méténier, en tous les cas cette totale absence de moralité du fond est bien faite pour nous ravir si la trop grande crânerie de la forme nous déconcerte parfois.
A retenir du Policier un abattage monstre de la préfecture, et la manière délicieuse dont l'auteur dit : ce « brave garçon » en parlant d'un souteneur de Montmartre.
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La Chanson de la Bretagne, par Anatole Le Braz (Rennes. Caillière). ― M. A. Le Braz est un poète breton, et il a voulu, dans son livre, nous donner la sensation de son pays, âpre et doux, farouche et mélancolique à la fois. Souvent il a réussi : dans la Chanson de la Bretagne il y a maints beaux vers descriptifs, qui nous évoquent de graves, et aussi de gracieux paysages où passent des hommes énergiques et vigoureux en même temps que naïfs et tendres. Mais les meilleurs poèmes de M. Le Braz sont, nous semble-t-il, ceux qu'il a écrits sur des thèmes populaires : on sait combien la Bretagne et riche en légendes ; et de ces légendes est venue une inépuisable littérature de contes et de chansons. De quelques-unes de ces chansons, M. Le Braz a fait des poèmes pleins d'un charme un peu mystérieux, et aux thèmes dont il s'est servi il a su donner une forme délicate, tout en leur gardant leur fraîcheur et leur simplicité. La légende de la Lépreuse, celles de Jeanne Larvor, de Jeanne Lezveur, de Jean l'Arc'hantec, plusieurs Sônes, sont la plus agréable partie de ce livre dont nous aimerions à voir disparaître quelques taches : où, par exemple, l'auteur nous répète trop souvent qu'il est Celte, où il y a çà et là des métaphores excessives et des images peu exactes, et où certaines strophes, d'une langue lâche, ressemblent un peu trop à des strophes improvisées. Nous ne doutons pas que M. Le Braz ne puisse se corriger de telles fautes.
A.-F. H.
Portraits d'Écrivains, par René Doumic (Paul Delaplane). ― Les écrivains étudiés sont : Alexandre Dumas fils, Emile Augier, Victorien Sardou, Octave Feuilet, Edmond et Jules de Goncourt, Emile Zola , Alphonse Daudet, J.-J. Weiss. L'auteur, très consciencieux, doué de l'objectivité qui fait le vrai critique, analyse avec impartialité et perspicacité le caractère des écrivains et juge libéralement la valeur de leurs œuvres. Cela suffit à le faire estimer. L'estime devient de l'admiration lorsque je songe qu'il a eu le courage de lire tout Dumas fils, tout Augier, tout Sardou… ― de l'admiration, et de l'épouvante à l'idée qu'une tâche semblable, vu le malheur des temps, aurait pu m'incomber. J'aime encore mieux lire M. Doumic, bien que nous n'ayons peut-être pas une commune idée esthétique. Le chapitre V excepté, je ne ferais pourtant que peu d'objections à son très subtil dépeçage des Goncourt.
R. G.