Page:Mercure de France tome 006 1892 page 155.jpg

voyant le triste sort de l'homme, imagina, pour l'en distraire, de le faire prendre plaisir à son malheur, et lui donna le rire.

 On ne devrait rire décemment que de l'homme qui ne sent pas ses imperfections ou s'en satisfait.

 Le comique et le tragique sont les deux modes du mal.

 Un bossu ou un aveugle sont, en réalité, tout aussi comiques qu'un avare ou qu'un sot. Pourquoi a-t-on la pudeur de ne pas rire de ceux-là et rit-on de ceux-ci?

 Le ridicule est un déguisement que nous jetons sur le mal pour pouvoir le considérer avec plaisir.

 Dénigrer la vie, c'est lui être ou inférieur, ou supérieur; l'apprécier, ce n'est jamais que lui être égal.

 Nous jugeons de la vie par la nôtre. Pour arriver à un jugement équitable, il faudrait procéder à une sorte de plébiscite sur la vie. Et serait-on même certain que le résultat de ce plébiscite ne varierait pas de date à date, de latitude à latitude, suivant les remous de l'histoire et les configurations de la géographie ? Pessimiste au nord, optimiste au midi! enthousiaste en quatre-vingt-neuf, désespéré en quatre-vingt-treize!

 S'il y a du ridicule à haïr la vie, il y a de la mesquinerie à l'aimer.

 Comme en société l'on est toujours plus joyeux qu'on ne l'est dans sa propre intimité, il en résulte que l'on se fait de la joie qui règne dans le monde une idée beaucoup trop exagérée.