Page:Mercure de France tome 006 1892 page 235.jpg
Dans le palais, brillant de gemmes et d'ivoires,
Ses yeux tristes se voilaient d'éternelles nuits
Et même les aurores d'or lui semblaient noires.
Et maintenant, chaque soir, quand meurent les bruits,
S'en vient le doux ami dont l'amour l'a charmée ;
Et plus jamais, au long de sa route embaumée,
Elle ne cueille la fleur pâle des ennuis.
« La porte taciturne a tourné sur ses gonds
Et les chiennes n'ont pas aboyé de colère.
Viens, et marchons parmi la floraison stellaire
Des narcisses, des pavots et des martagons.
Par delà le jardin joyeux où nous vaguons,
Se hérisse le bois toujours crépusculaire
Dont le mystère vierge et farouche s'éclaire
D'écailles en flamme et d'yeux rouges de dragons.
Ne tremble pas. Je sais les magiques paroles
Et je sais cueillir les merveilleuses corolles,
Fleurs d'ombre que je mêle en philtres endormeurs.
Les lourds monstres boiront d'une gueule assoiffée,
Et, la Toison prise, en la nef, joie et clameurs,
Je suivrai l'Époux, fier de son double trophée. »
Elle descend les marches glauques du perron,
Les cheveux ondoyants et la poitrine nue.
La troupe des guerriers s'incline, et le clairon
Proclame dans le parc sa hautaine venue.
Et les arbres en fleurs et les lierres grimpants
Ont murmuré de joie et d'amour dans l'allée ;
Les sources ont bondi plus vives, et les paons
Ont déployé l'orgueil de leur roue ocellée.
Elle sourit à la fraîcheur blonde des cieux,
Et, sur un signe de sa main d'ivoire frêle,
Les guerriers qu'a ravis la splendeur de ses yeux
S'en iraient conquérir des royaumes pour elle.
A.-Ferdinand Herold.