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sut faire, de main sûre, entre les artistes et entre les œuvres.
Sa critique est positive; il exalte le sujet de son
analyse; il dit les signifiances obscurément voulues
par le peintre et, ce disant, recompose très
souvent une œuvre un peu différente, par les tendances nouvelles qu'il y trouve, de celle qu'il a
eue sous les yeux : ainsi, dans son étude sur Henry
de Groux (10), un grandiose pendu nous apparaît,
plus grandiose encore et plus lamentable aussi, parmi le renouveau luxuriant des sèves,
que le grandiose et lamentable bonhomme du
peintre de la Violence.
Quant aux défauts des œuvres qu'il aimait, il
les voyait bien, mais il préféra souvent les taire,
sachant que l'éloge doit, pour porter, être un
peu partial, et sachant aussi que le rôle du critique
est de nous signaler des beautés et des joies,
non des imperfections et des causes de tristesse.
A l'œuvre mauvaise, médiocre ou nulle, le silence
seul convient, et, contrairement à l'opinion d'Edgar
Poe, j'affirme que la plupart des chefs-d'œuvre
même ont besoin pour être compris, à l'heure
où ils éclosent, de la charitable glose d'une intelligence amie. Malheureusement, la critique influente,
si peu qu'elle le soit encore, étant devenue
ou vénale ou inepte, ou les deux tout a la fois,
il est nécessaire de la contredire de temps à autre,
rien que pour montrer que l'on n'est pas dupe:
cela seul induisit Aurier à démolir Meissonier (11),
ce badigeonneur ignare au millimètre carré. Cela
fut inutile, comme est toujours inutile la critique
négative: la fièvre amoureuse des foules ne se
guérit pas avec dix pages de sulfate de quinine;
il en faudrait des hymalayas de tomes, — et encore!
L'homme qui peint des états-majors ou des
cuirassiers, comme celui qui narre les faiblesses
de cœur des ingénieurs de l'Etat, enlève naturellement