Bien des choses ne sont justes que dans la mesure où nous le décrétons. Nous avons même créé un mot pour indiquer ces choses qui sont justes sans l'être : le mot légal. Il est légal de posséder de l'argent sans l'avoir gagné ; il est légal que les enfants d'une femme aient un père et que ceux d'une autre n'en aient pas. Il est illégal, par contre, de se refuser à prendre les armes pour aller tuer son prochain de l'autre côté de la frontière.
La propriété n'est plus le vol : il y a prescription.
Il y a deux sortes d'inégalités : les inégalités artificielles et les inégalités naturelles. L'égalité consiste à supprimer les inégalités artificielles au profit des inégalités naturelles.
Nous jugeons des autres par leurs actions, de nous-mêmes par nos intentions.
Nous nous jugeons sur nos qualités ; les autres nous jugent sur nos défauts.
Nous ne pouvons nous juger du même œil dont nous jugeons autrui : nous connaissons trop la façon naturelle dont s'agencent tous nos actes. Nous nous comprenons, et, partant, nous nous pardonnons.
Nous ne blâmerions jamais, si nous pouvions saisir chez les autres, comme en nous-mêmes, les moindres causes des actions.
On s'indigne bien souvent contre un acte qu'avec les circonstances on aurait commis soi-même.
L'indignation est toujours étagée sur l'ignorance.
Il n'y a de justice indubitable que celle que l'on exerce envers soi-même, et elle est toujours partiale.
On juge les hommes beaucoup plus mal qu'ils ne méritent, quoique chacun d'eux ait fait beaucoup plus de mal qu'on ne pense.
Nos fautes sont des pavés qui retombent le plus souvent sur la tête des autres.
Nous sommes plus portés à juger avec notre goût qu'avec notre raison.
Le premier devoir du moraliste, c'est d'oublier qu'il y a une morale.
Pour juger sainement, il ne faut pas partir des principes, mais des faits.
En morale, comme partout, il ne s'agit pas de juger, mais d'expliquer.
L'explication d'un crime satisfait bien plus l'esprit que sa condamnation ne satisfait la conscience.
La justice dégénère vite en vengeance, aussitôt que l'on perd de vue sa seule raison, la raison sociale.
Il est plus important de faire croire à la justice que de l'appliquer.
Erostrate était-il si fou que cela, lui qui brûlait le temple d'Ephèse pour laisser son nom à la postérité ? Et ne sommes-nous pas bien plus fous que lui, nous qui, dotés par la nature d'une conscience qui devrait être impérissable, la sacrifions si souvent à l'opinion commune ?
Nous contentons notre conscience plus facilement que notre amour-propre.
Il n'y a pas de conscience plus ou moins calme : il n'y a que plus ou moins de conscience.
Les satisfactions de la conscience n'ont d'autre valeur que celle de la conscience elle-même. La conscience de Robespierre dut être satisfaite le jour où il eut fait guillotiner Danton.
Les inquiétudes de la conscience sont les aphrodisiaques de l'âme.
Les plus sensibles désillusions sont celles de l'amour-propre ; les plus cruelles, celles de la conscience.
Les gens qui ne transigent jamais avec leur conscience ont une conscience bien proche parente de leur intérêt.
Chacun se fait une morale à son usage personnel pour pouvoir, la conscience à l'aise, se livrer à ses petites malhonnêtetés.
Lorsque l'on raisonne sur un cas de conscience, c'est un mauvais cas.
La conscience est un juge qui accorde toujours des circonstances atténuantes. L'opinion en est un autre qui n'en accorde jamais.
Ceux qui sont à cheval sur les principes savent très bien en descendre pour franchir à pied les mauvais pas.
Une conscience trop scrupuleuse empêche parfois un honnête homme de devenir un grand homme.
L'intégrité n'est la suprême habileté que quand on a l'habileté de la faire valoir.
Le danger du crime tente d'héroïsme certains criminels.
Risquer sa vie pour un peu d'or ne sera jamais à la portée du premier venu.
Le remords est une faiblesse qui perd certains criminels, une habileté qui en sauve d'autres.
Les criminels à remords sont indignes de crimes.
Les gens capables d'éprouver du remords ne commettent généralement pas de crimes.
On voit des gens d'affaires commettre des faux pendant vingt ans et n'éprouver de remords que le jour où ils sont pris.
La minute où le remords est le plus vif est la minute de la guillotine.
La psychologie du crime serait sans doute intéressante, si le criminel n'était pas le plus souvent un être dénué de toute psychologie.
Louis Dumur.