Quatre ballades familières pour exaspérer le Mufle

De MercureWiki.
Laurent Tailhade, « Quatre Ballades familières pour exaspérer le Mufle », Mercure de France, t. I, n° 4, avril 1890, p. 113-117.


QUATRE BALLADES FAMILIÈRES
POUR EXASPÉRER LE MUFLE

I
BALLADE
DU MARCHAND D'ORVIÉTAN

« Salutations pantaculaires d'une amitié où la communauté des études et l'identité des aspirations illuminent de sérénité les dévouements du cœur. »

Joséphin Péladan au catéchumène Stanislas de Guaita (frère
Adelphe Mercurius pour les initiés).


Voici la rue et le plantain,
Le jus de taupe et la merd'oie,
Voici la graisse de putain,
Le cloporte, le vers à soie
Et le bol que Fagon emploie.
Ci la Bête du Gévaudan.
Ecco le fiel de la baudroie :
Voici les pieds de Péladan !



Reniflez un peu ! Ni le thym,
Ni la peau d'Espagne où se choie
L'orgueil ducal d'un blanc tétin,
Ni l'ambre, ni l'huile de foie
Que l'Islande à Barrès envoie,
Ni tes narcisses, Eridan,
Au humer n'offre tant de joie :
Voici les pieds de Péladan !



Quel charme ignoré du Bottin
Envoûte l'amoureuse proie ?
Nébo l'a dit à Trissotin.
Donc, lâchez un peu la courroie

De votre bourse et que l'on m'oye :
Pour que bachelette (à son dam !)
Livre aux mages la petite oie,
Voici les pieds de Péladan !



ENVOI



Prince d'Elseneur ou de Troie,
Fuyez l'œuvre d'Adolphe Adam
Et ces baumes, que je déploie :
Voici les pieds de Péladan !


2


BALLADE A MES AMIS DE TOULOUSE
POUR LES REMETTRE EN GOUT DES FRIANDISES QU'ON Y SERT



Du Capitole à Saint-Aubin,
La ville où Bonfils se gangrène
Est accueillante pour l'aubain.
Dans ses murs de briques, la raine
Ranahilde, jadis, fut reine.
Mais les princes du tranchelard
Brillent toujours en cette arène
On mange du veau chez Allard.



Foin du puchero maugrabin,
Des sterlets du Volga, du renne,
De ces grouses qu'offre un larbin
Et des tragopans de l'Ukraine:
Raca sur l'huître de Marenne,
Sur l'huître pareille au molard,
Sur la banane et la migraine :
On mange du veau chez Allard.

Viennent le puceau coquebin
Et la mérétrice foraine !
(Ces gens ont-ils l'ordre du bain ?)
Et Chérubin et sa marraine.
Il sied que la jeunesse apprenne
À conspuer Royer-Collard,
Parmi les coupes de Surense :
On mange du veau chez Allard.



ENVOI



Prince trop gavé de murène,
Ce maître-queux sinistre a l'art
Des ragoûts à l'huile de frêne :
On mange du veau chez Allard.



3


BALLADE

POUR SE CONJOUIR AVEC LE

PETIT CENTRE
« Tout renaît ! Le commerce des bestiaux va reprendre. »
Du Petit centre de Limoges, le 7 décembre 1888.


« Tout renaît ! » Sur le tympanon,
Sur l'ophicléide assassine,
Sur la peau de zèbre ou d'ânon
Et sur le hautbois qui dessine,
Maints phantasmes de bécassine,
Hurlons - tel Pompignan Lefranc,
Tel un butor dans sa piscine :
Le commerce des veaux reprend.

Palmes ! Discours et gonfanon
Tricolore ! O la capucine
Que porte an creux de son fanon
La mairesse chère à Lucine !

Elle est bovine, elle est porcine,
Elle raffole du hareng.
Son époux la nomme « Alphonsine ! »
Le commerce des veaux reprend.

Babouiné comme guenon,
Ce préfet chauve nous bassine.
Il parle, je crois, de Zénon
Et déclame un vers de Racine.
Pour le guérir, quelle racine ?
Quel bézoard mal odorant ?
Dis-nous, Pasteur, quelle vaccine ?
Le commerce des veaux reprend.



envoi



Prince, notre soulas est grand !
Posez, devant claires fascines,
Belles spatules vervécines
Le commerce des veaux reprend.



4



BALLADE DE LA GÉNÉRATION ARTIFICIELLE
« MéphistophélèsUn homme ! Et quel couple amoureux avez-vous donc enfermé dans le cheminée ?
« WagnerDieu me garde ! L'ancienne mode d'engendrer, nous l'avons reconnue pour une véritable plaisanterie. — ... Nous tentons d'expérimenter judicieusement ce qu'on appelait les forces de la Nature ; et ce qu'elle produisait jadis organisé, nous autres, nous le faisons cristalliser. »


Goethe. — Le second Faust.



Wagner, chimiste qu'exténue
Le grimoire du nécromant,
Distille, au fond de sa cornue,
La salamandre et l'excrément,

Et le crapaud que, doctement,
Assaisonne la verte oseille,
Pour que soit clos, en un moment,
L'homuncule dans la bouteille.

Catarrheux, il étreint la Nue.
Fi de la Belle-au-Bois-Dormant !
Fi de la Galloyse charnue,
Du mignon et de la jument !
Gaûtama ! le renoncement
Absolu que Ton Doigt conseille
Préside à cet accouchement :
L'homuncule dans la bouteille.

Plus de vérole saugrenue !
Plus d'hydrargyre ou d'orpiment !
Hélène, avec sa beauté nue,
Intoxique le jeune Amant.
[.......] tout simplement,
Au coin du feu, sous une treille :
Puis décantez modestement
L'homuncule dans la bouteille.



envoi



Fleur des hardeaux, Prince Charmant,
Nonpareille est cette Merveille
Offerte à votre étonnement :
L'homuncule dans la bouteille.

Laurent Tailhade.

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