La Fin du vieux temps, Pièce en trois actes, en prose, de M. Paul Anthelm.
Thermette Muselle et Marc Fauchureur s'aiment: le garçon demande la fille en mariage ; le pére, Toine, volontiers consentirait, mais, nature timorée, sans volonté aucune, il a bien quarante ou quarante cinq ans qu'il tremble encore devant son père comme un moutard: il renvoie l'amoureux au vieux Muselle, qui décidera. Marc, luron solide, travailleur possesseur d'un bien équivalent à celui dont Thermette héritera un jour, est un paysan nouvelles couches, qui exploite ses terres selon les progrès acquis et y applique les plus récentes méthodes. C'est pourquoi le vieux routinier de Muselle lui refuse Thermette. Il décrète qu'elle épousera Balthazar Quinçon, un pur, celui-là, qui ne mange pas de pain blanc, reste fidèle aux anciens us et ne changera rien plus tard au Musellion. Mais dans le temps que Balthazar fait une vaine cour à Thermette, les bêtes de la propriété sont atteintes de maladies ou meurent. Les paysans croient à un mauvais sort. Alors Marc, qui n'a point perdu tout espoir, reparaît, affirmant que les sorciers et les sorts sont des billeversées; si les bêtes dépérissent, c'est qu'un gredin s'y emploie, et il se charge de le découvrir. Le vieux Muselle accepte qu'il se poste pour la nuit dans la grange, avec Toine et un autre compagnon. Et en effet arrive le mendiant Tiolon (soudoyé par quelqu'un de la famille) avec ses herbes maléfiques. Toine reçoit un coup de couteau du gueux qui s'échappe. Tout le Musellion est sur pied. Toine va mourir, il supplie son père de donner Thermette à Marc. Le vieux s'obstine, s'emporte, refuse — et Toine meurt. Désespoir de Muselle, qui, par crainte des visites nocturnes du fantôme de son
fils, se résigne enfin au mariage de Thermette avec
Marc; mais il quittera la maison. Bonheur, prospérité, naissance d'un enfant; - et cet enfant, Muselle voudra le voir, l'aimera, et se réconciliera par lui avec le jeune ménage: le vieux temps est mort.
Histoire touchante, pas vrai ? Le mendiant, les sorts, les herbes de la Saint-Jean, la maladie des bêtes, l'avarice rurale, les amours contrariées, la thèse sur le progrès, le coup de couteau, le poupon conciliateur (etc.,etc.,etc.), ce sont là de ces choses que le public accueille avec la joie de retrouver de vieilles connaissances. Une lacune, pourtant, car, enfin, si la vertu est récompensée, le crime n'est pas suffisamment puni. Pour une fois - que M.Francisque Sarcey m'en absolve - j'indiquerai la scène à faire. Au lieu de se suicider après avoir occis Toine, le mendiant, disparu du pays, serait ramené par le remords au troisième acte, dénoncerait la gueuse qui le payait pour perpétrer ses crimes, et on les arrêterait tous les deux. On remarquera que, du même coup, par ma combinaison : 1° on punirait intégralement le crime ; 2° on ajouterait deux éléments d'émotion dont tout le monde déplore l'absence, le remords et le gendarme; 3° on corserait le troisième acte, en vérité trop simplet. M. Anthelm pourrait alors compter sur un gros succès à l'Ambigu, et le répertoire garderait sa pièce au même titre que Bruno le Fileur ou Marie-Jeanne la femme du peuple.
Il y a tout de même longtemps que l'âme de Madame Sand ne fut à pareille fête: on se serait cru aux beaux jours des Petite Fadette et des François le Champi - à cette différence près que les paysans de George Sand étaient des poètes, tandis que ceux de M. Anthelm ont de l'esprit comme un journaliste et parlent comme des maîtres d'école.
M. Antoine a haussé le vieux Muselle jusqu'au « caractère », et je ne sais trop si un autre eût été écouté durant l'extraordinaire troisième acte. M. Janvier (Balthazar Quinçon) est toujours tout à fait bien. Interprétation parfaite d'ailleurs avec MMmes Luce, Colas, Barny, Méréane, Garniery; MM. Damoye, Arquillière, Pons-Arles, Gémier et Verse.
Louer la mise en scène du Théâtre Libre est devenu un cliché. Je noterai cependant pour son étonnante précision celle du deuxième acte : la grange.
Alfred Vallette