Les trois Femmes en deuil

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Pierre Quillard, « Les trois femmes en deuil », Mercure de France, t. III, n° 22, octobre 1891, p. 208-209


LES TROIS FEMMES EN DEUIL



 Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
 La rivière miroite au soleil et semble une princesse vêtue de soie changeante, qui tient sur sa main pâle, au lieu de l'épervier de chasse, une palombe familière ; dans sa robe lumineuse, dans sa robe de soie et de joie, la rivière se hâte vers la mer prochaine.
 Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
 Mais de l'autre côté du chemin, le marécage s'endort dans sa chape d'acier ; vieux roi silencieux, il darde ses prunelles blanches ; les opales tristes qui pleurent sur sa poitrine muette sont brulées par des flammes obscures : la guerre, le meurtre et le viol hantent son sommeil.
 Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
 Mystérieusement elles vont ; leurs monotones pas s'assourdissent et glissent comme dans une chambre où repose un mort bien-aimé, un mort aux mains tièdes encore ; elles vont vers la campagne, loin de la mer et loin de l'écume, mystérieusement, sans se retourner.
  Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
  Deux d'entre elles sont vieilles par les larmes, par les glaives des sept douleurs; leurs épaules sont lassés d'avoir ployé sous le fardeau des souffrances de la vie et d'étroites coiffes noires enferment leurs cheveux résignés, tandis que leur manteau flotte en plis funèbres.
  Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
  La troisième fleurit et sourit; sa chevelure d'aube rayonne sur son cou et, l'oreille tendue à la chanson du fleuve en joie, vers la liesse de la mer, attend la barque d'amour, la barque d'amour et de jour, qui l'emportera loin des pleurs oubliés.
  Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
 

Pierre Quillard.



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