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Jean Dolent, ce Joubert, un peu de Belleville.
Louis Le Cardonnel.
L'artiste vit dans la légitime férocité d'un égoïsme productif : des gens entrent, il touche des mains, dit : « Et vos travaux? » dit : « Et votre famille? » mais sans le savoir, sans le vouloir, il est seul; l'artiste ne s'interrompt jamais. Il n'a pas la sensation — du silence, — du bruit, — du froid,- du chaud, — du jour,— de la nuit. C'est l'état délicieux qui touche au rêve, l'état mixte, dans la rue, chez lui, chez nous. Il interroge les absents, répond à des voix que seul il entend; les figures rêvées effacent en relief les figures vivantes; les mots n'ont plus le sens ordinaire: « C'est un misérable! » cela veut dire : les valeurs de son tableau ne sont pas justes.
Bracquemond: — « Callot ne sait pas dessiner, Holbein ne sait pas dessiner; il n'y a que les contours extérieurs, il n'y a pas les modelés! »
D'un coin sombre surgit la voix d'un statuaire:
— « Mercié, Chapu, c'est la suite de Dumont! »
Une voix : — « Plusieurs se soûlent de ce qui nous grise. »
Une autre voix : — « Des légumes beaucoup, peu de fruits, pas de fleurs. »
Eugène Carrière dit à un jeune peintre qui devait venir: — « Dans votre tableau, rien n'est à sa place; mais le manche du couteau sur cette nappe peut permettre d'espérer. »
Rodin se parle du buste de M. Henri Rochefort (attristé) : « Je n'ai pas pu rendre le satiné des pommettes. »
Jean Dolent, au plafond s'adresse : — « Est un artiste celui qui subit sans faiblir cette décisive épreuve: je ferme un moment le livre du poète: