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Version actuelle en date du 21 mai 2010 à 11:22
Verse à boire, aimable hôtelier des rêves,
Le beau vin pourpré. — N'est-ce pas ton sang ? —
Déjà l'on entend rire sur les grèves
L'essaim des Amours qui vient en dansant
Frapper à l'huis clos ?
Vite, ouvre ta porte et leur verse à boire,
Ou les voyageurs s'en iront. Il faut
Pour les retenir en l'auberge noire
Des mets généreux, du vin pur et chaud :
Donne leur ton sang.
Toc ! toc ! Entrez tous, joyeuse cabale
Des Tueurs-de-temps... — Ça nous tue un peu. —
Car l'auberge est vaste et, dans la grand'salle,
Comme un ciel couchant, rougit l'âtre en feu.
Asseyez-vous donc. La table est servie :
C'est mon sang vermeil, mon cœur tout en vie.
Buvez et mangez.
L'essaim bleu des Rêves s'essore
Dans les aurores attendries.
— Les fleurs qui fleuriront encore
Seront-elles bientôt fleuries ? —
Et Psykhé, la bonne veuve qui sait pourtant
La stérilité des illusoires espoirs,
Du promontoire, en l'envol de ses voiles noirs,
Les encourage d'un geste à peine hésitant.
De toute la hardiesse de leur foi neuve,
Ils s'en vont, plus frais, plus légers que des prières.
Et, si les méchants leur jettent des pierres,
Qu'importe ? — Adieu, la bonne veuve !