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d'écrire une histoire où intercaler ces rêves. La première difficulté était naturellement de justifier les accointances du narrateur avec le satellite ; le premier moyen qui me vint à l'esprit pour surmonter cette difficulté fut naturellement la supposition d'un télescope monstre. Je vis en même temps que le principal intérêt d'un tel récit dépendrait de la possibilité pour le lecteur de le considérer, en une certaine mesure, comme un fait vrai et d'y ajouter foi. Pendant cette phase de mes délibérations, je parlai du projet à quelques-uns de mes amis, et le résultat de mes entretiens avec eux fut que les difficultés optiques dans la construction d'un télescope comme je le concevais étaient si rigoureuses et si généralement connues, qu'il serait inutile d'essayer de donner de la vraisemblance à une fiction de ce genre basée sur le télescope. Donc, à contre cœur et à demi convaincu (croyant le public, en fait, bien plus bernable que ne le disaient mes amis), j'abandonnai l'idée d'imposer une stricte vraisemblance à ce que je voulais écrire, — c'est-à-dire assez stricte pour réellement induire en erreur. Étant tombé sur un style moitié sérieux, moitié plaisant, je résolus de donner tout l'intérêt possible à un voyage de la terre à la lune, puis de décrire tous les paysages lunaires, tels que vus et personnellement examinés par le narrateur. Selon ces données, je rédigeai une histoire que j'appelai Hans Pfaall, et je la publiai environ six mois plus tard dans le Southern Literary Messenger, dont j'étais alors le rédacteur en chef.
Ce fut trois semaines après la publication du Messenger contenant Hans Pfaall que la première mystification lunaire fit son apparition dans le Sun, et je n'eus pas plus tôt jeté un coup d’œil sur le journal que je compris la plaisanterie qui, je n'en pouvais douter un instant, avait été suggérée par mon propre « jeu d'esprit ». Plusieurs journaux de New-York (Le Transcript, entre autres)