Page:Mercure de France tome 003 1891 page 278.jpg
C'était un vase étrange ;on y voyait courir,
Pantelante sous la torche des Erynnies,
Une foule enroulée en spires infinies ;
Et l'argile vivante avait l'air de souffrir.
Quelque ouvrier terrible avait dû la pétrir
Avec de la chair âpre et des pleurs d'agonies.
Des hydres s'y tordaient ; et les voix réunies
Clamaient la double horreur de naître et de mourir.
Ivres, les Passions fracassaient des cymbales.
L'Avarice et la Haine, ourdissant leurs cabales,
Insultaient la Justice avec des bras sanglants.
Et, seul, un lys élu pour les miséricordes
Priait dans la lumière, et sur l'enfer des hordes
Versait son élue triste et noble en parfums blancs.
Vers l'Archipel limpide, où se mirent les îles,
L'Hermaphrodite nu, le front ceint de jasmin,
Épuise ses yeux verts en un rêve sans fin.
Avec sa langueur torse empruntée aux reptiles,
Sa cambrure élastique et ses seins érectiles,
Il suscite la soif de l'impossible hymen ;
Et c'est le monstre éclos, exquis et surhumain,
Au ciel supérieur des formes plus subtiles.
L'éternel désir brûle et tord ses cheveux blonds,
Un sourire infini, frère des soirs profonds,
S'estompe en velours d'ombre à sa bouche ambiguë.
Et sur ses pâles chairs se traîne avec amour
L'ardent soleil païen qui l'a fait naître un jour
De ton écume d'or, ô Beauté suraiguë!
Albert Samain.