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Puis j'étais mis à mort par l'ordre du Tyran ;
De ma poitrine, alors, jaillissait un torrent,
Où venait s'étancher l'antique soif des Ames.
J'étais Celui qu'on prie aux lentes fin de jour,
Et mon pâle visage, en un nimbe d'amour,
Flottait, lune mystique, au cœur triste des femmes.
J'ai rêvé d'un jardin primitif où des âmes
Cueillaient le trèfle d'or en robes de candeur,
Où des souffles d'azur, veloutés de tiédeur,
Berçaient des fleurs d'argent, sveltes comme des femmes.
A l'ombre, au bord des eaux, sous des arbres légers,
Les mystiques Amants rêvaient leur solitude;
Et tout était extase, et joie, et plénitude,
Et les agneaux de Dieu paissaient dans les vergers,
L'amour sanctifié, sans hâtes et sans fièvres,
Buvait à l'urne exquise et profonde des lèvres...
O songe d'un désir parfumé par le ciel!
Et j'étais là, debout parmi les marjolaines,
Virginal, et l'archet des blanches cantilènes
A mes doigts effilés d'ange immatériel.
Albert Samain.