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Catulle Mendès, avec 3 portraits de l'auteur, eaux-fortes de F. Desmoulin (Charpentier). — Un charmeur; une grâce légère, brillante, enlaçante, sensuelle, parfumée, quelque chose comme « du rosolio sucé dans un flûte mousseline », ainsi qu'il la écrit lui-même dans une adorable petite pièce. Cela simplement? Non point. Une hautaine clameur d'épopée aussi, et de fulgurantes parades avec l'épée à deux mains héritée du Charlemagne du romantisme. C'est avec ce côté héroïque de la poésie du maître que les deux premiers volumes nous font refaire connaissance, et il tant proclamer qu'Hespérus, les Contes Epiques, le Soleil de Minuit, les Soirs moroses sont de très nobles poèmes, de perfection achevée, d'imagination flamblante et grandiose. Dans le troisième volume,
Catulle Mendès paraît avoir abandonné un peu le mode épique pour se livrer à la confection des plus délicates orfèvreries. Tous ces rondels, villanelles, odelettes sont d'un pimpant, d'un scintillant, d'un chatoyant merveilleux. Impossible d'aller plus loin dans rassemblement mélodieux des rimes, dans la virtuosité menue et fleurie du badinage. C'est l'enchantement du Joli; et le poète serait sans conteste le premier si la poésie n'avait d'autre mission que de briller comme un bijou. Mais quelque lassitude se mêle à cette ivresse quasi physique ; et après toute cette débauche de gentillesses fondantes, de strophes musquées, d'odelettes glacées a la framboise, on aspire violemment après le verre d'eau pure d'une simple émotion. L'émotion: voilà ce que Catulle Mendès semble avoir souci de fuir à tout prix. Ce qui le préoccupa seul, c'est la sensation, et encore la sensation localisée à répiderme, en un mot le frôlement; et il faut s'empresser d'ajouter que nul n'a poussé plus loin que lui l'irritation savante des papilles. Si la première condition de tout art est d'être sincère, le poète aurait eu grand tort de diminuer le sien en l'appliquant à des objets poux lesquels il n'est point fait; et peut-être le comble de l'artifice eût été pour lui de feindre le simple et le naturel. II y a perdu de nous toucher; mais, en revanche,il nous a donne, dans le domaine de l'imagination pure, -de somptueuses fêtes, de luxueuses orgies, et dans une splendeur de marbres polychromes, de velours pompeux, de soies fleuries et bruissantes, une sorte de banquet à la Véronèse, étincelant et théâtral, où lui-même siégeait avec la grâce ouvragée d'un Florentin blond. C'est en lui que le romantisme incarna son expression la plus significative. Avec son goût du geste héroïque, l'empanachement de sa langue, son inspiration à la fois truculente et précieuse, ses visions grandioses, sa psychologie exorbitée, il résume admirablement toute l'école qui mena son train brillant et tumultueux à travers le siècle.
De cette féerie qu'il nous donna, c'est une profonde reconnaissance que nous conservons, et si l'évolution des goûts et des idées — évolution qui ne connaît point d'arrêt — nous entraîne maintenant vers d'autres rivages , ce n'est certes point sans mélancolie que nous nous tournons, là-bas, vers cette Venise qui s'enfonce peu à peu à l'horizon avec ses dômes