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« — Où donc êtes-vous? »
A demi je la prends: sa bouche me parfume et ses cheveux m'effleurent...
« — Lisez-moi et j'éveillerai sur le clavecin de très mourants accords.
— Où lisez-vous?
— Je ne lis pas, je dis par cœur.
— Quel ton?
— Mineur, oh! mineur.
« Un soir, dans la bruyère délaissée,
Avec l'amie souriante et lassée:
O soleil, fleur cueillie, ton lourd corymbe
Agonise et descend tout pâle vers les limbes, —
Ah! si j'étais avec l'amie lassée,
Un soir, dans la bruyère délaissée!
Les rainettes, parmi les reines des prés
Et les roseaux, criaient énamourées;
Les geais bleus font fléchir des branches frêles,
On entendait les cris énamourés
Des rainettes, parmi les reines des prés.
Un chien, au seuil d'une porte entr'ouverte,
Là-haut, pleure à la lune naissante et verte,
Qui rend un peu de joie au ciel aveugle;
La vache qu'on va traire s'agite et meugle, —
Un chien pleure à la lune naissante et verte,
Là-haut, au seuil d'une porte entr'ouverte.
Nos pieds meurtrissent l'herbe diamantée,
Nous gravissons la ravine argentée,
Pente mourante à la sente effacée,
Les genoux, las et les, cœurs délassés, —
En gravissant la ravine argentée
Nos pieds meurtrissent l'herbe diamantée.
Pendant que nous montons, l'âme inquiète
Et souriante, vers la courbe du faîte,
Le Rêve, demeuré à mi chemin,
S'assied pensif, la tête dans sa main,
Et nous montons vers la courbe du faîte,
Nous montons souriants, l'âme inquiète.»
Je suis parti, courageusement, à moitié dupe.