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grands brouillards, et, comme il a lu Baudelaire, il
reprend :
Peut-être que le cœur qui souffre et qui soupire
Aime à trouver dans la nature le reflet
Des larmes dont s'étanche en vain son long martyre.
S'il décrit des paysages, ce seront des steppes inertes et engourdies de froid, des fleuves gelés, des villes ensevelies sous les neiges, pour ce que son cœur, qu'il appelle un glaçon d'hiver, y trouve d'affinités. Encore ces descriptions ne lui servent-elles que de termes de comparaison. S'il se complait à la peinture de la Néva, c'est qu'elle est le mot de la vicissitude humaine, c'est qu'il trouve à l'admirer l’étonnement et le frisson du vrai métaphysique ; et c'est justement ce souci de philosopher qui ôte à ses vers la couleur et la poésie.
Une seule fois, il s'est senti attendri devant la nature, et le sonnet où il a mis son émotion est si agréable que je le veux citer en son entier :
Les doux lampyres veulent luire en mes chemins,
Et chaque pas les voit qui sourdent sous les herbes.
Si les étoiles sont trop haut aux cieux superbes,
Les doux lampyres me seront moins inhumains.
Je me rappelle la fillette aux blanches mains
Qui les aimait et leur jetait des yeux acerbes,
Et les cueillait et les posait en fines gerbes
Dans ses cheveux, tressés avec les purs jasmins.
Et s'ils s'éteignent, que ma nuit en soit plus noire !
Je laisse aux princes les idoles de la gloire,
Aux sacrificateurs les chênes écartés,
Aux chefs des peuples, les trésors et les empires.
Combien sont douces les mollesses de clartés
Que sèment aux chemins luisants les doux lampyres!
Que M. Dumur n'a-t-il plus souvent regardé l'herbe où sont les verts luisants!
La conception de la vie que dénotent les Lassitudes doit amener fatalement au suicide. Albert n'y a pas manqué. M. Dumur, je l'espère, s'en sauvera par la littérature, ce qui vaudra mieux pour lui et pour nous. En attendant la mort, il se réfugie dans le sommeil, et quel ennui lorsque le matin-geôlier rouvre ses yeux :