A G. M.
Des larmes d'or tombent du masque de la Lune
Qui laisse errer sa jonque, au gré de ses douleurs,
Sur les tristesses violettes de la brune.
Et son geste indolent sème l'une après l'une,
Dans ce vèpre automnal, de maléfiques fleurs
Qui constellent le ciel de cruelles pâleurs.
Lente, lente et bercée ; elle vogue la Lune,
Endormie à demi dans sa robe d'argent;
Parmi les fleurs de nuit qu'elle égrène en songeant,
Elle vogue à jamais vers l'illusoire dune
Qui s'estampe en un leurre de brouillards très fins,
Au milieu d'un cortège bleu de fols dauphins.
Sans espoir d'atterrir à l'Ile fortunée
Où doit finir sa vagabonde destinée,
Vogue, vogue à jamais, la Lune condamnée.
Et c'est dans la splendeur d'un fabuleux matin
- D'une blancheur adamantine
- D'une blancheur adamantine
Le départ du bon Roi pour une Palestine
- Que nul paladin
- Que nul paladin
N'a jamais déflorée au taillant de son glaive.
- Et le Roi rêve
- Et le Roi rêve
- De voir claquer son étendard,
Vierge comme la Ville au faîte du rempart,
- Et le Roi rêve
- Et le Roi rêve
Innocemment que la conquête sera brève.
Autour de lui les puérils et fols seigneurs,
- Seuls compagnons de l'équipée,
- Brandissent la loyale épée
- Et poussent des clameurs
- Et poussent des clameurs
- Seuls compagnons de l'équipée,
De joie, en dressant haut leur longue lance;
Et les gonfanons verts flottent dans le soleil...
D'or et d'argent vêtu, le jeune Roi s'avance,
- Le Roi s'avance dans l'éveil
- De ses illusions premières.
- Le Roi s'avance dans l'éveil
Et, cependant que ses blanches bannières
- Claquent dans le soleil,
- Il chante,
- Il chante,
- Claquent dans le soleil,
Il chante le très noble espoir qui le tourmente :
- « Comme sous un souffle de flamme
- S'exaltent mes désirs virils;
- Qu'importé les futurs périls :
- Une fleur a fleuri mon âme!...
- Des Messagers clairs sont venus
- Qui m'ont dit : « Tu ceindras le glaive,
- « Et tu chevaucheras sans trêve,
- « A travers les vaux inconnus,
- « Jusqu'à la Citadelle haute
- « Dont les créneaux crèvent les cieux.
- « O Roi va donc, insoucieux,
- « Le Palais vide attend son hôte!»
- Et j'irai, le premier de tous,
- Opérer l'épique escalade.
- Méprisant la vaine peuplade
- Des tristes railleurs et des fous.
- Je serai le prêtre des prêtres
- De l'unique Divinité,
- Vers qui de toute Eternité
- Monte la prière des Êtres.
- Spoliateur essentiel
- Mon règne n'aura point d'automne,
- Car je tresserai ma couronne
- De fleurons dérobés au Ciel! »
Ayant chanté cela très gravement, le Roi
- Caresse la crinière de son palefroi,
- Puis abaissant, d'un geste qui salue,
Son épée à la gloire a jamais dévolue,
- Tandis que douze héros d'or
- Sonnent du cor,
- Sonnent du cor,
- Et que clame la populace,
- Il part au galop, l'Elu du Destin,
- Et l'éclair bleu de sa cuirasse
- Brille longtemps par le chemin.
- Sur la plus haute des tourelles,
La Princesse enfantine qui l'aima d'amour,
Regarda l'occident jusqu'à la fin du jour
Et puis mourut parmi l'essor des tourterelles!...
Elle mourut en envoyant de longs baisers
Cueillis au miel de ses désirs inapaisés
- Montés à ses lèvres décloses...
Et le ciel fut jonché d'une moisson de roses.
- Longtemps par les monts et les routes
Le bon Roi chevaucha sans que le moindre écueil
- Heurtât son rude orgueil.
Les ennemis ne purent compter leurs déroutes!
- Maintes bastilles, maints châteaux,
Qui se dressaient farouchement sur son passage,
- Furent pris et mis au pillage
Et leurs défenseurs pendus aux créneaux.
Il traversa les mers où chantent les Sirènes,
- Et les bois peuplés d'oiseaux fabuleux,
Il traversa les mers, et les bois, et les plaines,
Sous des ciels noirs, sous des ciels blancs, sous des ciels bleus.
Aux soirs de lassitude et de lourdes tristesses,
- Des femmes au sourire ensorceleur
Tendaient leurs mains dispensatrices des caresses,
- Et pour enamourer son cœur,
Son cœur aride et tel que les citernes vides.
Elles semaient sur le chemin des fleurs perfides
Dont les pistils fumaient comme des encensoirs
- Dans l'air tiède des soirs !
- Dans l'air tiède des soirs !
Mais le héros, drapé dans son orgueil farouche,
D'un geste abolissait les charmes corrupteurs
Et le male artifice des femmes, des fleurs,
- Sans même tenter l'escarmouche.
Car, des jardins d'amour, volontaire banni,
Il allait, méprisant les voluptés coupables.
Dédaigneux comme un dieu des sanglots d'infini
- Qui convulsaient les choses périssables.
- Pendant des jours, des jours et des années,
Vers le sacre promis, il marcha sans faiblir;
- II vit ses blonds cheveux blanchir,
Et ses désirs tomber comme des fleurs fanées;
II vit s'user ses forces, s'éteindre ses yeux,
Ses compagnons mourir en rudes agonies...
- Et lorsqu'il regardait les cieux
Tout son cœur palpitait d'angoisses infinies!
Son armure faussée en un fatal combat
Meurtrissait sans répit son épaule débile;
Son casque défoncé lui fut plus dur qu'un bât
- Et son glaive inutile,
- Et son glaive inutile,
Trop pesant maintenant, se rouillait dans sa main,
Et ses pieds las bronchaient aux pierres du chemin.
Depuis longtemps déjà, les merveilleuses Femmes
- Ne venaient plus semer des fleurs,
- Pour bercer ses douleurs,
- Pour bercer ses douleurs,
Aux paisibles clartés des soirs d'or et de flammes.
- Exécuteurs de sinistres décrets,
Des vents néfastes hululaient par les forêts,
- Par les forêts et par les plaines,
Dépouillant les vergers, saccageant les moissons...
- Et les claires fontaines
- Et les claires fontaines
- Pour jamais taisaient leurs chansons!
Le Roi sentant alors que son heure était proche,
Et qu'il ne verrait point le Chanaan prédit,
Se coucha tout du long sur une aride roche
- Et proféra cet interdit,
- Et proféra cet interdit,
Avant de s'endormir sans peur et sans reproche :
« Les fourbes Messagers du Songe initial
Ont parjuré leur glorieuse prophétie!
La Terre est veuve désormais, car nul Messie
Ne mènera son peuple au pays nuptial.
De rapaces oiseaux dégringolent des nues
Avec des chairs de dieux dans leur rostre sanglant !
Les portiques du ciel écrasent en croulant
L'Espoir suprême qu'exaltaient nos Ames nues.
Les dieux sont morts, les cieux sont vides et la Croix
Se consume en la pourpre de ce soir tragique...
Des tocsins d'épouvante ébranlent les beffrois!
— Puisqu'enfin tu t'approches, ô mort pacifique,
Tends vers mon cœur meurtri tes exorables mains
Et rends-lui le sommeil des nuits sans lendemain. »
Jean Court.