"Au théâtre libre"

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Alfred Vallette, « Au Théâtre Libre », Mercure de France, t. II, n° 16, avril 1891, p. 240-241.



AU THÉÂTRE LIBRE
La Meule, pièce en quatre actes, en prose, par M. Georges Lecomte


 Encore, toujours du naturalisme, et point de la vérité bien simple. Mais non, ce M. Rousselot, ce papa qui révèle à sa fille, et dans une occurrence aussi peu capitale, que Mme Rousselot l'a trompé, qui lui confie en quelque sorte la garde de sa mère pour la durée d'un bref séjour à Paris, ce papa-là n'est pas vrai. Et puis la fin de la pièce ne répond point à l'idée que propose le titre : le mariage de Jeanne Rousselot, jeune fille de vingt-deux ans, avec ce vieux beau de M. de Stellanville, l'amant de sa mère et précisément l'homme redouté par son père quand il lui faisait promettre de veiller sur Mme Rousselot, ce mariage n'est pas absolument inévitable, n'apparaît pas du tout comme unique solution de la circonstance. Alors, où la Meule ? où cette Fatalité qui, dans la pensée de l'auteur, devait planer sur le drame ? La synthèse réaliste qu'avait conçue M. Georges Lecomte s'est transformée à l'exécution en un cas très particulier, un cas quelconque traité selon la dangereuse, la déformante, la déplorable méthode naturaliste.
 Ramenée à ces proportions, la pièce de M. Georges Lecomte est encore défectueuse, mais au moins elle est debout. Jeanne n'est plus obligée par la force des choses à épouser M. de Stellanville, la Meule ne broye plus son existence : elle se dévoue de son plein gré à sa famille, elle se résigne au sacrifice du bonheur rêvé d'une union assortie.
 Cette pièce n'est d'ailleurs point sans qualités. On y voit très bien la faiblesse, le défaut d'entregent, le manque d'initiative du magistrat dégommé Rousselot, réduit pour vivre à plaider et à donner des consultations pour quarante sous; — la coquetterie de Mme Rousselot, sa lassitude de la vie provinciale, son impatient désir de restaurer, coûte que coûte, une situation déchue. La scène entre le mari et la femme, au premier acte, est excellente d'observation. Quant à Jeanne, elle est la jeune fille ordinaire, sans caractère spécial. Et au deuxième plan se silhouettent assez bien la figure falote du vieux viveur de Stellanville et celle d'Edmond Morin, jeune homme positif, pratique, qui songe beaucoup plus à son avenir qu'à conter fleurette à sa cousine Jeanne, mais qui en revanche s'offrirait volontiers la mère.
 M. Antoine est toujours absolument parfait en ces rôles de père faible, de mari qui ne porte point les culottes : mais ne l'avons-nous pas vu trois ou quatre fois dans ce même personnage ? M. Antoine est capable d'en créer d'autres tout aussi parfaitement, et il serait à souhaiter que les auteurs lui en fournissent bientôt l'occasion. Pourquoi Mme Régine Martial, dans la discussion un peu vive, scande-t-elle ses phrases comme son directeur ? Dans le présent cas, du reste, les époux s'empruntant souvent de mutuels tics, ce petit travers ne manquait point de piquant. Les autres rôles étaient très bien tenus par Mlle Théven et MM. Lérand et Grand.

Jeune Premier, pièce en un acte, en prose, par M.Paul Ginisty.
 C'est une bluette sans prétention aucune, de la comédie de salon : je serais bien surpris qu'on ne la montât point, cette prochaine season, dans quelques châteaux en mal de cabotinage. — Le vieux Montgerol, qui toute sa vie a joué les jeunes premiers, s'ennuie à dépérir de ne plus recevoir, depuis qu'il a quitté le théâtre, de ces billets doux qui pleuvaient chez lui naguère. Mme Montgerol ne se méprend point sur la cause de son souci, et, pour lui rendre sa belle humeur, imagine lui écrire des lettres enflammées : truc qui réussit jusqu'au jour où la bonne dévoile le pot aux roses. — Cette intriguette, pas très neuve il me semble, est gentiment conduite. Mais, de vrai, sa place n'était guère au Théâtre Libre. L’Amant de sa femme, de M. Aurélien Scholl, justifiait encore sa présence là par le risqué de certaines situations, impossibles ailleurs; tandis que Jeune Premier est possible même dans un pensionnat de jeunes filles...
 Interprétation excellente par M. Antoine, qui a fort drôlement donné à Montgerol la physionomie de Delaunay, et par MMmes Barny et France.

Alfred Vallette.


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