A un jeune Aède

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Louis le Cardonnel, « A un jeune Aède », Mercure de France, t. III, n° 22, octobre 1891, p. 221


A UN JEUNE AÈDE


Aède aux yeux de nuance douce,
Toujours vers leur frère Azur tournés;
Avec ton front blanc qui se renverse,
Au-dessus des fronts de tes aînés,
Tu brandis ta strophe comme un thyrse.


Espoir des ardentes Muses pâles,
Qui t'ont, sur un mont, donné le sein,
Dans leur bois antique aux rameaux nobles,
N'abandonne pas ton haut dessein;
Et qu'à tes pieds vienne un fleuve d'âmes.


Oui, charmant Meneur d'Odes divines,
Ainsi que des chèvres bondissant,
Sois meneur encor d'âmes humaines;
Et que ton chant clair comme ton sang
Enivre d'amour les foules fauves.


Moi, moi qui sais l'orphique mystère,
Le premier, j'ai lu ton âme en toi :
J'aimai l'enfant, déjà rêvant d'œuvre,
Et, simplement, t'ai juré ma foi
En un chant qui, grave, se module.


Je t'aimerai, dans ton été riche,
Comme je t'aime dans ton printemps;
Je t'aimerai claironneur farouche
Autant que chanteur de dix-huit ans :
Pourtant, que ton mai longtemps fleurisse...


Puis, avant qu'un fier laurier aux tempes
Tu domptes les haines et la mort,
Reçois, doux Aède, épris des pompes
Antiques, jeune homme aux lèvres d'or,
Ces rythmes tordus comme des pampres.

Louis le Cardonnel.

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