« Et, pour comble d'horreur, les animaux parlèrent. »
L'abbé Delille.
Chœurs déchaînés sur l'Oréas neigeuse,
Faune velu, Thyade aux jeunes flancs,
Vous qui menez la cordace orageuse
De l'antre humide aux pics étincelants
Et qui, le soir, par les taillis hurlants,
Crucifiez de vos belles morsures
La chair du faon et des louves, peu sûres
Bacchantes, je chanterai sous l'ormeau
Notre Rameau franc de toutes luxures :
Le meilleur veau, c'est encor Jean Rameau.
Rameau n'a point la mine avantageuse
Qu'aux seuls gandins prêtent les bons merlans.
Hispide, avec une boule rageuse,
Il va-t-en ville exhiber ses talents
Et naqueter pourboires, en gants blancs.
Doux locatis, il hume les rinçures
Du faux moët, des bavaroises sures
Et des orgeats où trempe un chalumeau.
Quelque blanc d'œuf a verni ses chaussures :
Le meilleur veau, c'est encor Jean Rameau.
Muse des Bois, sonore Voyageuse,
Oncques n'ouïs ce Rameau plein d'élans
Crier d'amour quand fleurit Bételgeuze.
Mais comme il a votre âme goélands (1)
,
Son vœu chérit les animaux bêlants :
Enfantelets, porcelets, moutons, ures.
Tel palabrait, en dépit des censures,
L'engastrimythe Ursus avec Homo ;
Tel, ô Bourgeois, il émeut vos fressures :
Le meilleur veau, c'est encor Jean Rameau.
Prince au bouclier d'or, qui nous assures
Contre l'ennui fauteur d'âpres blessures,
Que Péladan parle du roi Schlèmo,
Qu'Ohnet soit lu dans les « Poids et Mesures »,
Le meilleur veau, c'est encor Jean Rameau.
Cœur de lapin, ventre de porc, nez de gorille,
Incarnation des plus saumâtres Wishnous,
Némorin-Le-Busard qu'une gale essorille,
Étant un pur gaga, rayonne parmi nous.
Chez Péters, où le veau de truffe et de morille
S'assaisonne pour les journalistes brenoux,
Le chien du commissaire, Arthur Fouinard, brille,
Et le gros Cul-qui-Rit incague ses genoux.
Voici Pompon ! Richard O'Monroy ! Voici même,
Empereur de la sole et Pape de la brême,
L'unique Éphestion, le seul, le maquereau
Qui, pour consolider ses petits bénéfices,
De madame Reingold vendit les orifices,
Et que les ronds-de cuir lisent à leur bureau.
« Hi sunt qui cum mulieribus non
« sunt coinquinati ; et in ore eorum non
«est inventum mendacium. »
(Les SS. Innocents A none )
« Voici les Bienheureux que la femme
« n'a pas coinquinés ; et ce n'est point le
« Mensonge qu'on a trouvé dans leurs
«bouches.»
- Calamiteux et menant la « postige »,
- Sur le trottoir que Barrés a dompté,
- Le camelot secoueur de vertige,
- Bardache mais nullement breveté,
- Garrulle avec impétuosité.
- Journaux, poil à gratter en macédoine,
- Préservatifs amoureux pour chanoine,
- Que ne vend-il, le ribaud triomphant?
- Son « leit-motive » est à charmer idoine:
- « Joli cadeau à faire à un enfant. »
- Pierre Loti (2), par qui Zola s'afflige,
- Baisa les Sarimpis couleur de thé,
- Aux négrillons infusa la voltige
- Et fit crever quelque jaune beauté
- De l'Orénoque ou du Palais d' té.
- Mais, pour bailler à son courtaud l'avoine,
- Le conjouir et le tirer d'essoine,
- Yves est là que l'Institut défend.
- Le matelot de cet écrivain coine,
- Joli cadeau à faire à un enfant.
- Frère Bitard, dont l'avant bras fustige
- Plus d'un puceau très bas déculotté,
- De Sainte Eglise avère le prestige.
- Et Rabaroust, magistrat, fut cité,
- Pour l'ingénu de sa lubricité.
- Le gros vicaire avec le paillard moine,
- Sans bézoard, jayet, ni calcédoine,
- Brisent la porte et le mur de refend.
- O leurs engins valant tel patrimoine,
- Joli cadeau à faire à un enfant.
- Prince, d'Argis, cueillant sauge et pivoine,
- Chez Henri Laus rencontre Pupavoine:
- Seigneurs bougrins, sonnez votre olifant !
- Le mal de Naple et le feu Saint Antoine,
- Joli cadeau à faire à un enfant.
Laurent Tailhade.
(1) Telle est, à ce qu'il prétend, l'âme ordinaire de M. Paul Bourget, auquel nous sommes heureux de restituer sa belle expression. Cela dépasse fort, à ce qu'il nous semble, Maurice Barrès et fait deviner presque M. Pierre Loti. — L. T.
(2) Académicien et marinier, le plus jeune des Quarante. A le petit travers de raffoler des pseudonymes. Ainsi, on l'appelle Viaud sous la Coupole, Ma chère à la cour de Roumanie, Pol Plançon à l'Opéra, et il taquine l'ivoire, dans le monde, sous le nom du pianiste Dusauthoy. — L.-T.