Choses d'Art juin 1892

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Mercvre, « Choses d'Art », Mercure de France, t. V, n° 30, juin 1892, p. 185-187.




CHOSES D'ART

 Nous avons parlé, dans le dernier numéro, des Mays de Notre-Dame, ou tableaux que, de 1630 à 1701, la corporation des Orfèvres offrit annuellement au Louvre; depuis, quelques-uns furent donnés à des églises, à des musées de province; mais la plupart sont toujours roulés, à la poussière et à l'humidité, dans un grand magasin situé exactement sous le dôme central du palais (1). Il est possible que leur valeur soit médiocre; il est possible aussi que telle de ces toiles soit fort intéressante; l'incompétence de l'administration du Louvre est notoire; elle a un faible connu pour la mauvaise peinture; si on ne peut la rendre responsable de l'effrayant quantité de Guido Reni et de Carrache qui encombre le Musée, c'est pourtant sa faute si on les voit si bien; elle les expose aux meilleures places et relègue à six mètres de haut des toiles que le nom du peintre seul qualifie de curieuses, — mais nul ne les verra jamais. Il faut bien reconnaître aussi que le Louvre est peut-être, de tous les palais de l'univers, celui qui convenait le moins pour un musée de peinture; les galeries sont en hauteur; elles devraient être en longueur, afin que tous les tableaux fussent également à portée de l'œil. Tel qu'on l'a organisé, le Louvre n'est pas une exposition de tableaux, ce sont des murs ornés de tableaux. Dans ce genre, la grande salle des portraits est stupéfiante: on dirait une collection de timbres-poste collés sur les murs par un maniaque du dernier degré.
 En l'actuel état des choses, — et la Démocratie bourgeoise ne livrant son bon argent que pour faire des canons ou décerner des prix aux jokeys de l'Institut et aux académiciens du Turf, — ou pourrait néanmoins organiser au Louvre un vrai musée, en ouvrant une salle nouvelle où seraient exposés, à tour de rôle, toutes les toiles maintenant invisibles, à tour de rôle, toutes les toiles maintenant invisibles, qu'elles soient mal placées ou pas placées du tout. Mais ce serait trop simple, — et sans doute pas assez administratif...
 Voici la liste des Mays, - ces refusés éternels, réduite au nom du peintre et à la date de leur entrée à Notre-Dame ; les sujets sont généralement tirés de la vie des apôtres :
 1634 : Blanchard. - 1637 : La Hyre. - 1642 : Poërson. - 1644 : Michel Corneille. - 1648 : Louis Boulogne. - 1650 :Nicolas Loir. - 1652 : Testelin. - 1656 : Villequin. - 1680 : Paillet. - 1661 : Coypel père (attribué à Corneille père). - 1662 : Daniel Haffé. - 1663 : Blanchet. - 1670: : Jacques Blanchard. - 1672 : Michel Corneille. - 1674 : Claude Audran. - 1675 : Honasse. - 1678 : Don Boulogne. - 1679 : J.-B. Corneille. - 1680 : Antoine Coypel. - 1686 : Louis Boulogne. - 1687 : Claude Hallé. - 1688 : Chéron. - 1689 : Vernansal. - 1690: Chéron. - 1694 : Joseph Parrocel. - 1696  : Christophe. - 1698 : Vivien. - 1689 : Tavernier. - 1703 : Silvestre. - 1704 : Claude Sinipol. - 1705 : Galloche.- 1706 : Cazes.
 Quatre Mays seulement sont exposés dans les galeries du Louvre : ceux des années : 1635 : Saint Pierre guérissant les malades par son ombre, par La Hire ; - 1643 : le Crucifiement de saint Pierre, par Bourdon ; - 1649 : Saint Paul faisant brûler la bibliothèque d'Ephèse, par Eustache Lesueur. - 1631 : Le Martyre de saint Etienne, par Le Brun.
 Expositions rétrospectives : A l'Ecole des Beaux-arts, œuvres de Th. Ribot, la peinture réaliste, dure et forte que l'on connaît, la série des Cuisiniers, la Grand'mère, la Ravaudeuse, le Marchand d'images, A la cave, la Petite laitière, le Saint Sébastien, par où s'inaugure le Ribot noir, noir, qui tranchait si impérieusement sur les clairs salons de ces dernières années. La curiosité de cette exposition, assez complète, comme ensemble, était la Pastorale, tableau de première manière, où le peintre n'ingéniait, un peu lourdement, à imiter Watteau.
 A la Galerie Petit, œuvres de Raffet. Ce sont de curieuses illustrations à l'histoire militaire de la Révolution et de l'Empire. Alignées sans légende, sans titre explicatif, elles perdent singulièrement de leur valeur. Néanmoins, c'est instructif : on y voit le troupeau humain aussi stupide que vaniteux satisfait de la gloriole, même sans pain et voué à se faire éternellement massacrer pour plaire à un maître qui le flatte et qui le bat. Comme le Napoléon de Raffet comprend bien, et quel souverain mépris dans ses yeux pour la brute qu'il envoie à la mort ! Ils sont héroïques, oui, les pauvres bougres, mais ce qu'ils sont bêtes !
 Récemment, on a vendu à l'Hotel Drouot, 6100 francs, un marbre de Clésinger, le Triomphe d'Ariane.
 Paul Séruzier abandonne le tableau pour la décoration. Il décide à couvrir de fresques tous les murs qu'on lui confiera.
 Chez Durand Ruel, exposition de tableaux de Renoir. Nous revoyons au récent article (2) d'Albert Aurier sur Renoir.
 A voir :
 20, rue Laffitte, des Corot.
 Chez Boussod et Valadon, des Whistler, des Gauguin, des Forain etc.
 Un très riche américain fit vœu, si sa fille, fort malade, guérissait, de donner un Detaille au Luxembourg. Il fut exaucé (par qui ?) - et ladite galerie des Horreurs va «  s'enrichir  » d'un mauvais tableau de plus, Sortie de la garnison de Hunniugue (20 août 1815), payé une centaine de mille francs.

R.G.


 (1) On dit que la salle des Etats, libérée des bureaux, va être consacrée à l'exhibition de ce « fonds des Greniers ».
 (2) Mercure de France, t. III, p. 103.


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