Georges Rodenbach

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Charles Merki, « Georges Rodenbach », Mercure de France, t. II, n° 18, juin 1891, p. 343-351.


GEORGES RODENBACH


 Pour de rares qui s'intéressent à ce très fin et très curieux esprit qu'est M. G. Rodenbach, j'essayai jadis de formuler l'impression de ses poèmes, de suivre la précieuse évolution d'un mystique dont le vers, parfois, me faisait penser à de blancs voiles de ces dentelles du nord, qu'un peu de vent soulèverait ; à de lentes théories de formes indécises, cheminant sans bruit par des paysages brumeux et lunaires. Avec cela, c'était le culte d'un art hautain, d'élégantes tendresses, des afflictions subtiles, un état d'âme inquiète, flottant d'un catholicisme moribond et du regret de l'enfance à des rappels d'amours mélancoliques et si douces sur le décor des fêtes mondaines, des calmes béguinages, des antiques cités flamandes agonisant d'ennui et de solitude. La poésie, pour lui comme pour d'autres des sensationistes, est restée cette langue idéale et fluente qui laisse entrevoir des choses à peine définies, les pensées vagues, l'inexprimé du vouloir et l'incertain du clair obscur, les froissements minimes et les deuils imaginaires des consciences que la vie meurtrit, que la réalité brutalise. Aujourd'hui, M. Rodenbach publie le Règne du Silence, un très beau livre, et c'est la même impression — encore accrue peut-être et plus poignante — de mélancolie, de douce tristesse, le charme pacifiant, apaisant « du rêve, où l'on se laisse aller comme au fil d'un cours d'eau », d'une âme où tout désir se décolore, qui n'a plus vraiment souci que d'elle et ne prolonge rien autre que sa quiète illusion. Il est de ceux qui ont atteint le port et le bon refuge. Depuis les vaines batailles, il s'est éloigné vers les cloîtres de solitude, où les douleurs graduellement s'effacent, ne laissent qu'un peu de souvenir, de vagues remembrances vêtues par l'éloignement et l'oubli d'un brouillard de leurre, — au point qu'on ne sait trop si leur avènement ne fut point adorable puisqu'il vaut de flotter en de si divines songeries. Et voici que dans le repos et le silence les choses mêmes qui l'entourent se font pitoyables et compâtissantes et consolatrices. Viennent-elles vers lui, ou son âme s'est-elle transposée, qui les anime d'une vie trompeuse ; on ne pourrait dire, l'accordance est si parfaite ; par le recueillement des chambres — apparat de silence aux étoffes inertes — les objets familiers lui parlent cependant, participent à ses joies, à ses émotions passagères, reflètent les sensations qu'il formule, les angoisses de son âme et bientôt les symbolisent...

Oui ! c'est doux ! c'est la chambre, un doux port relégué
Où mon rêve, lassé de tendre au vent ses voiles,
Dans le miroir tranquille et pâle s'est cargué.
Las ! sans plus espérer des sillages d'étoiles,
Et des départs pour des îles, mon rêve dort
Dans le profond miroir, comme en un canal mort...

Il rentre, et la chambre maternelle l'accueille, et les plis des rideaux qu'un frisson lent rapproche semblent causer entre eux de l'absent qui revient. Des voix disent la mort des fleurs qui « dépérissent dans la pitié de l'eau » ; le vague soupir des choses le berce,

Respiration lente et qui, rythmique, endort
Comme un bruit d'eaux, ou de jardin sous une averse.

Le lustre, « où la douleur de la poussière s'éternise », le lustre aux fins calices de verre, qui vibre avec « un chagrin grêle d'harmonica »,

... c'est mon cœur, visible en ce décor
Qui frissonne en sourdine et sans cesse s'afflige...

Les portraits aussi parlent :

Ils ont des mots ouatés et blancs de confesseur.
Des mots tels qu'on en lit au long des banderolles
Peintes, dans les missels, aux lèvres des élus...
Voix comme en rêve; voix en conciliabules...
Voix dans l'éloignement et qu'on dirait venir
D'au delà des jardins et d'au delà des fleuves...

Et toutes ces voix chuchoteuses s'unissent, s'accordent, résonnent en son âme de rêveur, font lever de subtiles analogies, lui insinuent d'autres rêves « qui s'évadent languissamment et traînent par la chambre comme des bulles ». De la pendule, le temps s'égoutte et pleure en tombant ; de vagues musiques pénètrent malgré les fenêtres closes, se blessent « en traversant le mensonge du verre » et lui apportent sanglants des rythmes presque morts. Puis l'obscurité descend, descend dans l'âme aussi qui s'enténèbre ; la clarté recule vers les rideaux qui lui font un linceul de dentelle ; les lampes, là-bas, rouvrant leurs cicatrices, vont recommencer à faire saigner l'ombre :

... c'est l'heure
Où le vol libéré des âmes nous effleure.

C'est encore l'heure où les chambres se trahissent, le prennent à témoin et, défaillantes, se confient. Elles laissent échapper leur secret, qu'il nous répète à mi- voix :

Les chambres vraiment sont de bons vieillards
Et ce sont aussi de bonnes aïeules ;
Eux, rêvent tout bas à d'anciens départs ;
Elles prennent peur quand elles sont seules,
Tristes pour jamais d'avoir vu mourir...

Et de même, chaque soir, elles meurent réellement ; dans la détresse de la lumière, la vie les quitte ; avec la fin du jour, c'est la fin de leur être d'apparence. Ainsi ses renoncements après les élans fugitifs, les croyances vaines. Le crépuscule est doux comme une bonne mort ; les soleils d'autrefois ont péri dans les brumes de l'horizon et la chambre est bonne conseillère ; il n'y a plus qu'à dormir, qu'à rêver...


Car c'est, avant tout, maintenant, chez M. Rodenbach, la religion du rêve :
Ah ! Seigneur ! augmentez en moi cette richesse
Dont je suis à la fois le maître et le gardien ;
Et, de rêves nouveaux, refaites-moi largesse,
O Seigneur, donnez-moi mon rêve quotidien !...


Rêver, transposer en soi des sons et des nuances, mêler à leurs reflets une part d'infini, se consoler avec la vie en rêve, la vie emmaillotée aux langes du mensonge, il ne désire plus rien au-delà :

Mon âme a trop souffert aux chemins du Réel
Et s'en trouve à jamais comme en convalescence...

Désormais, le rêve qu'il forge, qu'il appelle, qu'il crée de sa mélancolie, devient le milieu, l'ambiance dans la solitude où il se complait. Curieux effet comparable à du rayonnement, à de l'émanation ; la vie immédiate n'existe plus, reculée jusqu'à l'improbable ; il berce ses fictions et les vêt de tout le charme des vocables assoupis, d'une caresse de mots qui ont des frémissements de soie : elles sont son âme même, projetée, qui se concrète et prend forme et nous apparaît, alors que le rêve se déploie, velarium de bruine et de clarté lunaire. — Avec M. Maeterlinck on avait vu l'extériorité agir sur les nerfs, à fleur de peau, procurer des émotions singulièrement acuitives. A présent la flottante enveloppe du songe retombe sur l'âme, l'enveloppe et la pénètre, la transit à la fois et quasi l'embaume. Dans l'évocation des villes mortes, une immense tristesse plane. Et c'est comme une psychologie du décor : elles vivent leur pauvre vie, ces maisons « dont le front se lézarde de vieillesse » ; ils sourirent et dépérissent et meurent, ces remparts à l'abandon, ces quais bordant l'eau immobile d'un canal, ces bâtiments clos, aux murs qui s'effritent. C'est l'automne et la mort des maisons, des vieilles petites villes flamandes :

Dans l'aurore s'éplore un octobre des pierres...

Des rues désertes, où le bruit des pas est une chose déconcertante « comme de rire auprès d'un malade endormi ». A la nuit, de pâles lueurs aux vitres : on dirait un chétif feu de cierge et qu'en chaque maison muette on veille un corps. Tristesse des vieux murs tombés dans la misère ; villes sans joie aux carrefours déserts, vieilles cités déclinantes et seules, où les gens marchent silencieux, furtifs, l'air de fantômes. Là-dessus pèse l'ennui plus grand, la tristesse plus grande du Dimanche, un jour où « le silence, en neige immense, tombe », coupé par la voix des cloches qui reviennent, reviennent toujours, obsédantes, tintant comme pour des obsèques. Des béguines, au loin, passent, hâtant le pas. On entend encore les cloches, des chants d'église, des soupirs d'orgues. Et la ville meurt, meurt de l'ennui de sa solitude. Elle semble sommeiller ; mais les canaux et le frêle tissu des flottantes fumées s'enroulent en formant des bandelettes d'eau et de brouillard autour de la chère endormie. Et voici le suaire des neiges qui choit du ciel désolé pour l'ensevelir dans l'hiémale fourrure, l'impériale blancheur des frimas...

O neige, toi la douce endormeuse des bruits
Si douce, toi la sœur pensive du silence,
O toi l'immaculée en manteau d'indolence
Qui gardes ta pâleur même à travers les nuits.
Douce ! tu les éteins et tu les atténues
Les tumultes épars, les contours, les rumeurs;
O neige vacillante, on dirait que tu meurs
Loin, tout au loin, dans le vague des avenues !
Et tu meurs d'une mort comme nous l'invoquons,
Une mort blanche et lente et pieuse et sereine,
Une mort pardonnée et dont le calme égrène
Un chapelet de ouate, un rosaire en flocons.
Et c'est la fin : le ciel sous de funèbres toiles
Est trépassé...

 Votre âme, lui écrivit M. Mallarmé, donne toujours cette haute impression de luxe qu'elle a le temps. Parole affectueuse et juste. Le temps, oui, le temps de rêver son rêve, de scruter et de comprendre la vie des choses, d'apparier leur mélancolie et sa mélancolie. S'il s'éloigne des villes défuntes et s'égare le long des canaux, s'il écoute la plainte murmurée des rivières, il entend ces voix et ces plaintes :

La voix de l'eau qui passe est triste et mire en elle.
La moindre affliction qui l'a frôlée un peu...
La voilà s'affligeant du départ en exil.
De la fumée, au loin, que la bise balaie
Et qui, violentée, abandonne dans l'air
Ses voiles, et dans l'eau vient mourir toute nue...
Voix qui prolonge un peu les voix qui se sont tues,
Voix triste qu'on dirait posthume et d'autrefois,
Voix qui parle comme regardent les statues...


 Surtout il y suit encore son rêve, il y voit le reflet de son âme ; les mots se répètent comme en des litanies. Ce cœur de l'eau « souvent malade et sans mémoire », de l'eau si pâle, « qui parfois en des frissons, en des remous », crispe sa nudité d'une douleur charnelle, qui dort en un miroir « où les choses se font l'effet d'être posthumes », il nous le révèle en cette seconde partie du poème, une des plus belles, et en tous cas d'une émotion neuve. Subtile psychologie de l'eau vivante et vraiment féminine, aimant le ciel comme en un hymen consenti, qui sanglote d'être seule « en ce grand calme qui lui fait mal », qui pense et se lamente et se souvient, — c'est la psychologie du rêve. Et c'est bien une littérature du nord, d'un pays de perpétuel hiver, la nostalgie de l'action et du soleil. « La tristesse de cette poésie frissonnante et si belle à la fin nous gagne, dit M. Montorgueil. Le livre achevé, on sent peser sur soi la glace des mélancolies ; on se surprend à parler bas et à poursuivre des rêves informulés, car les mots pour les dire sont par le froid cristallisés sur les lèvres. C'est un délicieux engourdissements de l'être et la chère souffrance d'Oswald dans les Revenants d'Ibsen, qui a vu la lumière de nos contrées et à son retour dans sa Norvège en meurt. »

 Pour rendre cette sensation, il faudrait trop citer. Encore les pièces ne se détachent guère. Le Règne du Silence — on doit préciser par ce temps de minuscules plaquettes, de petits recueils disparates et nuls — est un poème synthétique, entier et complet, où chaque notation vient concourir à l'effet d'ensemble. On le lit, et l'on aimerait renvoyer à M. Rodenbach le propos de Sainte-Beuve, qu'il réclamait pour Verlaine : Il sait si bien son âme. — Ame insaisissable et mobile d'une poésie de rêve. Ces vers doux, tristes, mélancoliques, il me semble toujours qu'il serait bon de les entendre dire à voix basse, au coin d'un feu tombant et sous la lampe très baissée, par une chambre silencieuse, les soirs de neige, dans la convalescence de quelque maladie terrible d'où l'on serait miraculeusement sorti...

 Au terme d'une étude sur des mystiques, — M. Verlaine, hier M. Rodenbach dans la Jeunesse Blanche — on pouvait naguère s'inquiéter d'établir s'ils furent des croyants, ces divins poètes, où si l'amour du décor et le plaisir de faire vibrer les mots précieux du liturgique les appelaient, seuls, à spéculer sur l'antique appareil des religions. Maintenant on a reconnu l'existence d'un mysticisme d'art, par delà les dogmes, retour au spiritualisme qui est la plus haute et la plus éclatante manifestation de la littérature présente. Ce mysticisme d'art imprègne et illumine le Règne du Silence, et d'autant mieux reconnaissable qu'il y est presque dégagé de toutes les évocations de la symbolique chrétienne, — si délicieuses, mais qui favorisaient la confusion. Les mots ont disparu, le frisson est resté.

 Et puis, ce désir de savoir au juste était secondaire. Que l'artiste fasse œuvre d'artiste, j'estime que c'est toute sa tâche. Il est sincère ainsi et nous n'avons rien de plus à lui demander. Enseigner ou conseiller n'est pas son fait. Il n'est pas tenu de jouer au philosophe, de crier la sagesse dès le seuil de la vie. Et nous subissons assez de moralistes, de normaliens, de pédagogues, pour qu'il nous soit permis de répéter quelques beaux vers dans l'oubli des pédants. Ils souffrirent, ces sensitifs, et le disent. C'est tout leur génie. Peut-être même ne recherchèrent-ils de précieuses aventures que pour rendre plus cher l'alanguissement de leurs couplets. Et nous savons qu'ils n'y trouvèrent pas le bonheur. Pour avoir, lui aussi, poursuivi la Béatrice, pour s'être enfiévré de fugitives et merveilleuses visions, Rodenbach coule a d'inguérissables mélancolies. Il tenta bien d'échapper ; il proclama ses voix trompeuses ; malgré cette conversion, de tardifs repentirs, je le crois impénitent : il se souvient trop. L'art qui lui parut un inviolable asile ne peut lui donner qu'une partie de son rêve. Dans le refuge de repos et de silence il reste désolé : Ma vie n'est qu'un grand canal mort :

O ville, toi ma sœur, à qui je suis pareil.
Ville déchue, en proie aux cloches tous les deux,
Nous ne connaissons plus les vaisseaux hasardeux
Tendant comme des seins leurs voiles au soleil,
Comme des seins gonflés par l'amour de la mer !
Nous sommes tous les deux la ville en deuil qui dort...

 Il n'a pas besoin de nous dire : regardez, ceci est mon cœur! Voyez, ceci est mon âme ; nous le savons déjà. Il a vécu aux frontières de l'immatériel et pleure encore des songes avortés ; cette vie et ces songes seront ses poèmes. On ne saurait prétendre, certes, qu'il souhaitait naguère d'épouser la Vierge et la Madone, d'enlacer ces royales phtisiques dont il racontait la chambre d'agonie, ou quelque sainte descendue d'un vitrail, — car ses femmes ne pouvaient prendre corps. Elles étaient loin des plus désirables amantes, loin même de celles qui furent la possession miraculeuse dont le caprice nous hantait aux heures de fortune favorable. Charnelle, leur apparition survenue les ravalait à la misère du possible ; il s'en détournait comme des maîtresses qu'il leur opposa si en vain. Le mieux est de dire qu'il aimait vraiment l'irréalisable. Et nous le comprenons ainsi, ce doux rêveur, et nous mettons notre main dans sa main crispée. Ses incertitudes, ses inassouvissements ne sont-ils pas un commun héritage ? Son sentimentalisme subtil et la vague illusion de l'Idole, quels sont ceux qui n'en furent pas éprouvés ? Toute la littérature du siècle l'affirme, dans le désenchantement de l'amour et la trahison des devoirs attendus. Et son malaise d'artiste, ses doutes se répercutent encore dans nos consciences et pèsent au point douloureux de notre être. Sommes-nous bien certains, en effet, de n'avoir pas pris la mauvaise route ? L'art vaut-il que nous défendions avec tant d'ardeur son évangile ? N'aurons-nous pas la persuasion, quelque jour, de nous être mépris ? — Des voix profondes, parfois, nous avertissent, et nous n'y trouvons qu'une courte déchéance. Tandis que la jeunesse passe et s'enfuit à jamais, nous adorons de brillants simulacres. Quoi que nous cherchions, notre effort nous lasse sans nous satisfaire. Par le dédain que la foule nous prodigue cependant, nous devrions apprendre que nous soin mes les vaincus de cette vie que nous n'avons pas voulu accepter comme les autres — et qu'il était préférable de suivre le Troupeau. Voyez, les folles aspirations de gloire qui consolèrent nos aînés nous font presque sourire ! Nous savons trop de quoi elle est faite, la gloire , de quels obscurs trafics et de quels grossiers triomphes. Superficielle toujours, elle exige encore des concessions. Pour ceux que les discours officiels épargnent, c'est l'opprobre des réparations posthumes, les dénigrements et les commérages, la blague d'une génération neuve, qui n'a plus vos idées et condamne avec les siennes. C'est, pour d'autres, les suffrages des pions, des éclaircissements de cuistres, plus tard l'œuvre choisie, devenue classique, donnée en pensum. C'est enfin pour les révoltés dont le front garde dans la mort le signe fatal de leur mécompte, quelques dévots qui redisent des phrases, qui annoncent le Maître et semblent parler une langue inconnue. Dans la tumultueuse cohue d'un siècle,l'oubli ne laisse pas surnager dix noms. La gloire, c'est de servir aux recherches maniaques des vieux érudits et aux fabricants d'éditions compactes ! — Je sais que, malgré ses abdications, M. Rodenbach le regrette, « le noble effort de se survivre en l'œuvre terminée  ; il l'a compris pourtant :

...c'est la fin de cet espoir, du grand espoir
Et c'est la lin d'un lève aussi vain que les autres :
Le nom du dieu s'efface aux lèvres des apôtres
Et le plus vigilant trahit avant le soir.
Guirlandes de la gloire, ah ! vaines, toujours vaines!
Mais c'est triste pourtant quand on avait rêvé
De ne pas trop mourir et d'être un peu sauvé
Et de laisser de soi dans les barques humaines...

Qu'il se console. Les tristes et les rêveurs qui le lisent lui sont un meilleur apanage,

Solitaires de qui la jeunesse rêva
Un départ fabuleux vers quelque ville immense,
Dont le songe à présent sur l'eau pâle s'en va,
L'eau pâle qui s'allonge en chemins de silence...

Pour moi, j'avouerai facilement m'être complu, autrefois, à des essais de paraphrases qui me laissaient pénétrer plus intimement l'âme de ses livres. Sans doute, l'inconvénient du système c'est qu'on détraque de bons vers pour construire de la méchante prose. Il est dans tout poète — et dans celui-ci combien — de l'intraduisible, un frémissement que sa formule seulement parvient à rendre. Puis on risque d'habiller les gens avec trop de fantaisie. C'est même le propre des commentateurs de découvrir des choses que l'artiste en créant ne soupçonnait point. Mais les textes demeurent pour de plus habiles. — J'aurais seulement un peu de reconnaissance au bon chroniqueur qui s'égarerait dans ces notes un soir de copie laborieuse et s'en servirait pour apprendre à quelques-uns encore les dolents poèmes de Georges Rodenbach.

Charles Merki.


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