Journaux et Revues

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Mercvre, « Journaux et Revues », Mercure de France, t. IV, n° 25, janvier 1892, p. 91-95.




JOURNAUX ET REVUES


 Giosué Carducci vient de prouver une fois de plus, comme le dit M. A. Ferrero dans la Gazzetta Letteraria, que nulle loi ne condamne les grands poètes au chef-d'œuvre à perpétuité. Sa dernière production, Ode à la Guerre, est en effet assez médiocre ; c'est de la poésie presque à la Déroulède, du patriotisme en vers sans même le mérite de la naïve sincérité. Grande polémique à ce sujet dans les revues littéraires italiennes. La Gazetta explique, excuse ; la Cronaca d'Arte, moins résignée, blâme, répète le mot de Pétrarque : Pace ! Pace ! Pace ! et dans un article M. U. Valcarenghi déclare que Carducci s'est mis au ban des poètes italiens ; la Critica sociale l'exécute en quelques phrases ironiques. Enfin une brochure anonyme, La Guerra del professore Carducci flagellata da Umano, a frappé le dernier coup. Profitant de la circonstance, un poète de talent, guère sorti encore des limbes, M. Rapisardi, a publié une contrepartie de l'ode de Carducci, intitulée All' Utopia et qui contient de belles strophes.
 Mélusine, mythologie, littérature populaire, etc. (novembre-décembre). — Cette revue est éditée par la librairie Rolland, maison unique en son genre, possédant plus de 30.000 brochures ou articles de revues classés par sujets.
 L'Étoile, kabbale messianique, spiritualisme expérimental, etc. — M. Jules Bois y fait avec talent la critique littéraire. Grand-Prêtre de la maison : Alber Jhouney.
  « Fraternité de l'Étoile. — Communion des âmes. I. Elévation fraternelle vers Dieu. II. Invocation aux esprits supérieurs. III. Union des fluides. Le 3 décembre et le 5 janvier, de midi au soir. »
 La Révolte, organe communiste-anarchiste (Paris, 140, rue Mouffetard), le seul journal qui ait réussi — et avec des ressources nulles — à donner toutes les semaines un supplément littéraire qui soit de la littérature.
 L'Écho des Jeunes, revue mensuelle, qui se publie à Sainte-Cunégonde, Canada, est prié, quand il donne des pages entières du Mercure de France, de citer la source. Après ce léger rappel à l'ordre, il ne reste qu'à féliciter le directeur, M. Gerbée, de sa tentative de créer, en ce vieux pays de langue française, un public pour la littérature d'art.
 La Curiosité Universelle continue son nouveau dictionnaire des artistes : notices sur les Breughel.
 Dans la Revue de l'Evolution du 15 novembre, M. Louis Dubreuilh nous expose les principes de l’Esthétique Scientifique telle qu'il la conçoit personnellement. Voici sommairement le procédé, qui doit aboutir à une nouvelle méthode de critique littéraire.
 1° On classe les dix parties du discours sous sept chefs différents : Êtres et choses, qualités, déterminations, actions, modifications, relations, connexions.
 2° On prend environ cinq mille mots de suite dans un écrivain et on les distribue sous une des rubriques ci-dessus.
 3° On fait des totaux et des moyennes et l'on trouve, par exemple, sur mille mots :

Descartes ........... 286 Êtres et choses
Montesquieu ......... 328 » »
Fénelon ........... 332 » »
Concourt. . . ........ 335 » »
Montaigne .......... 321 » »
Pascal ............ 306 » »
Bossuet ........... 344 » »
Voltaire ........... 343 » »
J.-J. Rousseau ........... 325 » »
Buffon ........... 297 » »
Chateaubriand ........... 323 » »
Michelet ........... 330 » »
Renan ........... 309 » »
Sully-Prudhomme ........... 299 » »

 Ensuite, on consulte les chiffres et l'on est tout étonné de voir qu'ils constatent, d'eux-mêmes, une étroite parenté d'intelligence entre Buffon et M. Sully-Prudhomme.
 Le premier résultat atteint par l'auteur de ce nouveau casse-tête est de pouvoir affirmer deux classes d'écrivains : les classiques et les romantiques ; on découvre ensuite qu'une autre classification est possible et l'on obtient :
 Les écrivains d'idées ;
 Les écrivains d'images ;
 Les écrivains de sentiments.
 Dans les écrivains d'images fraternisent Bossuet, Châteaubriand, Hugo, Gautier. Là, l'auteur s'aperçoit que ses conquêtes sont médiocres, et il avoue que ces trois groupes pourraient se subdiviser à l'infini, « car l'humanité est, comme la nature, inépuisable en ses productions toujours variées, toujours nouvelles ». Donc, en dernière analyse, on finit par se retrouver, seul à seul, en face de Bossuet ou de Buffon, individus irréductibles, inclassables, existant par eux-mêmes dans le monde intellectuel, — et l'on se demande si tous ces détails pour en arriver là n'étaient pas vains.
 J'admets que la méthode de M. Dubreuilh soit rigoureuse et sa botanique humaine absolument scientifique ; il restera encore à en démontrer l'utilité. La science, soit; mais la science stérile !
 En somme, l'auteur conclut qu'il y a des parentés entre les cerveaux et que ces parentés peuvent se prouver non seulement par la critique littéraire de leurs productions, mais aussi par la statistique des parties du discours qui reviennent plus ou moins souvent dans ces productions. C'est le compte-fils appliqué à l'examen du Prométhée enchaîné et les Pensées fixées au porte-objet du microscope articulé. Je vois bien le manuel opératoire, mais non les résultats nouveaux de l'opération.


 Revue Historique (novembre-décembre). C. Jullian : Ausone et son temps. I. La vie d'un Gallo-Romain à la fin du IVe siècle. Étude intéressante, mais pas très neuve de style ni d'idées, — ni même bien spécialement documentée.
 Edinburg Review (octobre-décembre). — Une étude sur J.-R. Lowell, le poète américain, célèbre surtout par des satires où Edgar Poe n'était pas épargné et par un pamphlet en jargon yankee, The Biglow Papers ; une histoire des Aquarellistes anglais.
 Revue des Deux-Mondes (Ier décembre). — A lire les pages de M. Brunetière sur Alfred de Vigny, à propos du  livre de M.Paléologue (Hachette). L'auteur du volume a rédigé un manuel utile ; M. Brunetière l'a quintessencié en ajoutant à son résumé de ces aperçus dont la logique, du moins, et l'à-propos sont parfaits : comme nul autre, il connaît, depuis les origine classiques jusqu'à nos jours — aux tout derniers, — la littérature française, et s'il mésestime quelques écrivains que nous aimons et que nous vantons, ce n'est aucunement — au rebours de tant d'autres — par ignorance. Pour lui, Vigny vient après les maîtres éternels Eschyle, Dante, Shakespeare, Gœthe; c'est incontestable, mais si le poète de la Maison du Berger n'a pas atteint le sommet de la montagne, il ne s'en est fallu peut-être que de quelques pas, et sa définitive demeure est assez proche de la cime. Boiteux un peu, il le fut, hélas ! et voilà la cause pourquoi il est resté en route : les très beaux vers et les vers très mauvais sont en nombre presque égal dans son œuvre. L'anthologie de Vigny est à faire ; à un choix des poésies on joindrait la dernière partie de Stello, la moitié du Journal, et on aurait un de ces livres tels qu'avant de les lire on les baise comme un évangéliaire.

R. G.

 Revue Philosophique, dirigée par Th. Ribot. D. M. J. Séailles, un article représentant un chapitre d'un livre qui doit prochainement paraître sur Léonard de Vinci, artiste et savant. C'est cette dualité qui fait l'intérêt de sa vie pour le psychologue. Peintre, il écrit un traité de peinture et il ramène à ses principes théoriques l'art, qu'en même temps il renouvelle. Mais il est plus qu'un esthéticien: il est à la lettre un chercheur de vérités positives, un grand savant.
 Disons un mot d'une très intéressante Note sur les dessins d'enfants de M. Jacques Passy, d'où l'auteur tire des conclusions, extrêmement importantes au point de vue d'un meilleur enseignement du dessin. Il recommande d'éviter l'emploi de modèles graphiques, dont le tort est de ne pas apprendre à voir : si la grande difficulté provient de la troisième dimension, il est clair que supprimer cette difficulté, c'est le moyen de ne jamais arriver à la résoudre. Le défaut naturel de l'élève est de substituer à ses impressions visuelles des tendances acquises ; le danger bien plus grave d'un enseignement vicieux est d'y substituer de simples formules.
 Mind (1891, July-October). — À noter une curieuse étude de M. Nallaschek: Sur l'origine de la musique. L'auteur fait du rhythme l'essence de la musique, et part de là pour chercher l'origine de cet art dans les impulsions rhythmiques, auxquelles viendraient s'adjoindre, en les complétant, les sons et la mélodie. En contradiction avec la théorie darwinienne, il se refuse à admettre la « musique des oiseaux , où se trouverait le point de départ de la « musique humaine ». Les animaux ne sont susceptibles que d'une émission de sons. Il conteste, de même, la doctrine qui ferait procéder la musique du langage. Ce sont, d'après lui, deux facultés, dont le développement est distinct. M. Mac Keen Cattell examine le même sujet, en insistant surtout sur l'origine de l'harmonie d'après Spencer.

G. D.

 Au moment de mettre sous presse, nous recevons les deux premiers fascicules de Psyché, Revue mensuelle d'Art et de Littérature (Rédacteur en chef: Émile Michelet; Secrétaire de la Rédaction : Augustin Chaboseau. — Et, trop tard pour que nous ne puissions également que le mentionner, nous parvient le numéro de Noël de la Revue Moderne, avec un sommaire composé en majeure partie de noms illustres.



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